mercredi 30 mars 2011

MANHATTAN MEDEA : la froide brûlure de Médée made in Manhattan

S’inspirant de l’histoire tragique de Médée, dont la colère et le cri ont su résonner à travers les siècles, les créateurs de Manhattan Medea ont visiblement essayé de recréer le côté rêche et revanchard de cette femme fatale, mais sans éviter les pièges d’un texte maladroit qui finit par refroidir tout ce qui aurait pu jaillir de cette œuvre.

Après que Violette Chauveau ait joué la Médée d’Eurépide il y a quelques semaines au Théâtre Denise-Pelletier, c’est au tour de l’actrice Geneviève Alarie de porter le cruel destin de cette femme mythique sur les planches de l’Espace GO.

La Médée de Geneviève Alarie prend toute sa dimension dans un Manhattan où elle a trouvé refuge avec son mari Jason, cherchant désespérément à sortir de leur condition après avoir fui leur pays en ruine. Leur quête est longue, semée d’embûches, d’infidélités, de sacrifices, de meurtres et d’égoïsme. Jason et Médée sont prêts à tout pour devenir riches, même à se trahir l’un l’autre. Manhattan Medea concentre d’ailleurs toute son attention sur le sentiment de trahison de Médée, après que Jason ait choisi de la quitter avec leur enfant et de s’installer sous le toit de sa nouvelle bien-aimée, une innocente pucelle qui a le luxe d’être jeune et fortunée. Cette jouvencelle est juste assez fortunée pour faire oublier à Jason l’amour que Médée croyait qu’il avait pour elle. Un amour auquel Médée s’accroche furieusement et désespérément, avant de se résoudre à demander vengeance.

Malgré des thèmes et des enjeux plus grands que nature, le côté particulièrement verbeux de Manhattan Medea - qui sert si bien le propos en certaines circonstances - finit par créer une distance avec les émotions brutes que vivent les acteurs sur scène. On se sent interpellé par les tourments de Médée et Jason, mais une barrière invisible nous empêche de les ressentir pleinement. On les entend sans être ébranlé. On les voit sans les vivre.

Ceci dit, les acteurs essaient tout ce qui est en leur pouvoir pour nous toucher. Le seul regard de Geneviève Alarie sur l’affiche promotionnelle de Manhattan Medea avait suffit pour me donner envie de voir la pièce depuis des mois, et la voilà devant moi en chair et en os, brûlante, excédée, dépassée par les événements, farouche, suave, dotée d’une intelligence vive et d’un sens du tragique juste à point. À ses côtés, Alexandre Goyette interprète un Jason débordant de testostérone qui fait tout en son pouvoir pour avancer en société, mais qui n’a pas la force naturelle de celle qu’il vient d’abandonner. Médée est visiblement plus puissante que Jason, et le jeu des deux acteurs rend très bien cette réalité. À l'inverse, Didier Lucien manque visiblement de raffinement dans sa diction et son interprétation d’un travesti ne va jamais aussi loin que ce à quoi on est en droit de s'attendre de lui. On le sent s’écouter et se regarder lorsqu’il s’esclaffe avec féminité et extravagance. On le sent jouer, au lieu de le sentir être.

D’un point de vue scénographique, les projections du trafic et des gratte-ciels de Manhattan, ainsi que l’incursion des indices boursiers lors de certaines transitions, sont particulièrement réussis, alors que la musique qui accompagne la tempête intérieure de Médée permet à l'oeuvre d'être bercée par des images presque cinématographiques.

Il y a beaucoup de bon et de beau dans Manhattan Medea. Il y a même une actrice qui réussit à tenir une pièce de théâtre sur ses épaules du début à la fin grâce à sa fougue et à sa capacité à nuancer ses excès de colère. Cependant, lorsque la courbe dramatique d’une œuvre impose à cette même actrice d’aller constamment jouer dans une zone d’extrême intensité, l’équilibre émotif de la pièce est à jamais perdu, laissant le spectateur intéressé, mais principalement déçu. 
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace GO - 29 mars au 23 avril 2011

Archives Théâtre : 
Un jour je ferai de ma vie un théâtre   

dimanche 27 mars 2011

Plus de 5 ans de ma vie à faire du théâtre avec Marie Laberge, Rita Lafontaine et les autres

En ce dimanche 27 mars, journée mondiale du théâtre, les auditions battent leur plein à l’École Nationale et au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Il m’est donc apparu chronologiquement pertinent de vous parler de théâtre. Pas du théâtre des autres pour une fois, mais du mien.

Malgré l'amour infini que je porte au théâtre depuis des années, je constate que celui-ci a fait son entrée dans ma vie seulement vers l’âge de 16 ans, lorsque ma petite ville de région s’est dotée d’une école de théâtre.

-Maman, papa, je veux suivre des cours de théâtre !, avais-je crié à l'époque.

Pendant huit mois, les lundi à 20h, j'ai fait partie d’un groupe qui enchaînait les exercices initiatiques sur la diction, la voix, l’improvisation et la lecture à vue. Nous avons présenté un extrait du Malade Imaginaire à la période des Fêtes et conclu l’année avec environ 20 minutes de la pièce Le Banc, écrite par Marie Laberge. J’y jouais un charmant vieillard, Albert Parent, qui prenait sa marche de santé à tous les jours en s’arrêtant dans le petit parc en face de chez lui pour radoter ses histoires à qui voulait bien l’entendre. J’ai cherché pendant deux semaines une façon de reproduire la voix d’un vieux radoteux. Au début, mes multiples tentatives sonnaient comme une triste imitation de René Angélil post-cancer. Heureusement, les choses se sont vite replacées lorsque je me suis inspiré de mon propre grand-père. J’avais enfin trouvé la vois du petit vieux en moi. En profitant par la suite du costume et du maquillage magnifiques qu'on m'avait faits, je me sentais fin prêt pour aller jouer sur scène. Bien entendu, je jouais avec le talent d’un jeune de 16 ans, mais je ne récitais pas mon texte, et on croyait à mon vieillard. J’étais fier.

L’année suivante, j’arrivais au cégep dans une nouvelle ville, j’essayais de m’adapter à la nouveauté et je faisais le choix de ne pas m'impliquer dans les activités parascolaires. L’année suivante, après m'être rongé les sangs pendant des mois, je me suis assuré d'être le premier en ligne pour m’inscrire. Avec l'aide d'une metteure en scène merveilleusement passionnée, nous avons monté le sublime texte de Pierre-Michel Tremblay : Le rire de la mer, une comédie dramatique brillante, touchante et hilarante. J’y jouais alors quatre personnages : un docteur d’une froideur sans nom, la Mort en personne, l’ange Dirdudirel (un ange de 6 pieds 4 pouces : c’était de toute beauté…), et nul autre que Molière, qui revivait sa mort en direct en s’interrogeant sur la qualité du spectacle qu’il avait offert en mourrant sur scène. Un pur bonheur. Cette année-là, notre troupe a été sélectionnée pour représenter la région au Festival Intercollégial de théâtre à Sherbooke. Même si le trac était immense, le rire et les émotions se mélangeaient avec un équilibre tellement bien maîtrisé que plusieurs spectateurs ont affirmé que nous avions offert la meilleure production du festival.

L’année suivante, je savais qu’il m’était impossible de revivre pareille expérience. J’ai donc choisi de monter mon propre projet. J’ai proposé à une amie de faire la mise en scène, j'ai choisi le texte, j'ai trouvé les deux autres acteurs, et je me suis réservé le rôle principal. J’avais envie de tenir une pièce sur mes épaules. Après de longues recherches, mon choix s’est arrêté sur un petit bijou, Les Sept Jours de Simon Labrosse, une pièce écrite par Carole Fréchette.

« Acteur et spectateur de la vie ordinaire, Simon est peu soutenu par ses amis, Léo, le poète négatif, et Nathalie, obsédée d’épanouissement personnel. Simon Labrosse se bat avec fébrilité et dérision contre le système qui l’étouffe, ce monde pourri sur lequel "il pleut des briques". Il n’a qu’une arme pour se défendre : il est vivant. »

Dans la pièce, Simon Labrosse s’invente des métiers pour s’occuper : amoureux à distance, cascadeur émotif, finisseur de phrase, remplisseur de vide, spectateur personnel. Moi qui voulais jouer du « naturel » après être allé dans les zones extrêmement éloignées de ma personne, j’étais parfaitement servi par le rôle de Simon Labrosse. Au moins d’avril 2006, nous avons participé au Festival de Théâtre Régional au Café-théâtre Côté-Cour sur la rue de la Frabrique, à Jonquière. Notre  production était loin d’être parfaite, mais c’était beau et j’aimais profondément mon personnage. Une amie  m’avait d’ailleurs dit à la fin du spectacle : « Je sais qu’il te ressemble beaucoup, mais je suis tombée en amour avec Simon ce soir, pas avec Samuel. » C’était le plus beau cadeau qu’on pouvait me faire. Pendant la pièce, mon Simon n’avait pas les excès de colère flamboyants de son ami Léo, ni les excentricités de Nathalie, mais il était le pilier central de la pièce. Avec environ 40 minutes de texte sur 75 à retenir, une présence sur scène du début à la fin, je servais de fil conducteur pour l'histoire et pour chacun de mes partenaires de jeu. Je n’avais pas l’attention du public en tous temps, mais j’étais là, solidement là.

En sortant de scène après notre deuxième représentation, le 2 avril 2006, je venais de faire un choix : j’allais consacrer la majeure partie de la prochaine année à préparer mes auditions et à tenter de faire ma place dans une école de théâtre. Avec mon diplôme de journalisme en poche, je pouvais maintenant vagabonder comme je le désirais. J’avais seulement 19 ans après tout.

Dieu seul sait à quel point les choses ont changé depuis. Tant d’événements sont venus influencer mes choix. Des ateliers chez Danièle Fichaud, des collègues de classes qui ont fait leur place dans les grandes écoles, une autre qui a joué dans le film Incendies de Denis Villeneuve, mes propres auditions dans les cégeps, dans les conservatoires et à l’École Nationale, d’autres auditions à servir de réplique de dernière minute à l’amie d’un ami, ma rencontre avec Rita Lafontaine qui a supervisé mon travail pendant quelques heures, et bien plus encore à raconter.

Une prochaine fois.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

mercredi 23 mars 2011

Le GUMBOOT : cette danse qui a commencé à me sauver de moi-même

Combien d’entre vous peuvent affirmer sans hésiter qu’ils savent bien danser ? Combien sommes-nous à regarder So You Think You Can Dance en pamoison devant le talent des danseurs qui s’exécutent semaine après semaine ? Que seriez-vous prêt à donner pour développer le talent du mouvement et de l’expression du corps ? Y a-t-il seulement une danse qui soit faite pour vous ?

J’ai toujours eu l’impression que la danse était l’un des talents artistiques que je ne possèderais jamais. Malgré une douzaine d'années consacrées à la musique, au théâtre, au chant et à l’écriture, autant de formes d’art me permettant de développer mon écoute, ma capacité d’interpréter, de connecter avec les autres et de suivre le rythme, j’étais persuadé de ne jamais pouvoir maîtriser l’art de la danse.

À mes yeux, savoir danser et mesurer 6 pieds 4 pouces, ce n’était rien d’autre qu’une belle antithèse. Impossible que ces deux réalités puissent un jour avoir envie de se marier. Trop peu de coordination, un centre de gravité trop compliqué à gérer, trop de ceci, trop peu de cela. Combien de fois me suis-je refusé à sortir danser dans un bar parce que j’avais peur de me sentir ridicule ?

-Bois quelques shooters avant d’aller danser et tu n’y penseras même plus, prétendaient certains amis.

Je suis convaincu d’être capable du meilleur comme du pire lorsque vient le temps de me retrouver sur une piste de danse. Je me sens coincé dans la foule, contraint dans mes mouvements, je ne sais pas quoi faire avec mes grands bras, et je me sens observé par la foule en entier.

-Mais on s’en fout des autres, tout le monde danse mal.

Chaque fois que je réussis à me débrancher le cerveau avant d'aller m’éclater sur une piste de danse, je me sens bien, je sens le rythme monter en moi, j’improvise, je fais le fou, je chante, et je m’amuse complètement.

-Tu n’es pas aussi irrécupérable que tu pensais finalement...

Moi, prendre un cours de danse ?
Récemment, un ami danseur est entré dans ma vie. Mesurant plus de 6 pieds 5 pouces, cet ami danseur avait suivi pendant trois ans une intense formation à l’ADMMI, une école de danse contemporaine montréalaise très réputée. Puis, un jour, je l'ai vu danser. Se dressaient alors devant moi 77 pouces de talent brut pour la danse. En plus de posséder des aptitudes indéniables, mon ami réussissait par sa seule prestance à sortir du lot en un clin d'oeil.

À partir de cet instant, impossible de ne plus penser à la danse. Il me fallait trouver une école ou un cours pour me confronter et m’amuser. Je me suis donc chargé de faire des recherches. Les danses en couple avec l’homme qui dirige la femme ? Très peu pour moi.  La claquette ? Trop technique. Le Bollywood que j’avais vu dans le film Slumdog Millionaire ? Clairement trop féminin selon les extraits de cours offerts sur Youtube. La danse contemporaine ? Tout à fait envisageable, un défi merveilleux, mais infiniment technique également. Un jour de janvier, l’option tant attendue s’est finalement pointée le bout du nez : le gumboot.

Dansée avec des bottes de caoutchouc dans les pieds, le gumboot est une danse africaine percussive où les danseurs exécutent une chorégraphie endiablée sur des rythmes de percussion et de chants. Inventé en Afrique du Sud au début du siècle dernier durant l’Apartheid, le gumboot servait de mode de communication non-verbal composé de claquements entre les éléments à la portée des mineurs sud-africains (bottes, chaînes, sol, surface de l’eau). Devenant rapidement un moyen de revendications des plus efficace, le gumboot a littéralement fait trembler les dirigeants : le pouvoir du groupe, l’âme de centaines de personnes réussissant à entrer en communion par le pouvoir du chant ou de la danse, voilà bien des éléments que les dictateurs de l’époque craignaient plus que tout.

En 2011, dans un petit local du quartier Rosemont-la-Petite-Patrie, se rassemblent chaque semaine une dizaine de personnes de tous les horizons pour apprendre le gumboot en gardant en tête un élément fondamental : il nous faut aller au-delà du simple mouvement. Même si les cours sont exaltants, énergisants, qu’on s’y amuse comme des enfants et qu’on y travaille aussi fort que dans une séance d’aérobie militaire, il nous faut toujours atteindre un petit  quelque chose de plus. Apprendre une chorégraphie, d’accord, maîtriser le sens du rythme, peut-être, mais à quoi sert tout cela si on n’arrive pas à habiter chacun de nos mouvements ? À quoi bon danser en groupe si l’on n’arrive pas à danser ensemble ?

Depuis quelques semaines, j’apprends à aller au-delà. Je suis mauvais et brillant dans la même minute, mais je m’en fous. Je danse, un point c’est tout.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

samedi 19 mars 2011

SALOMÉ à l’Opéra de Montréal : le retour tant attendu de Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin était de retour à la barre de l’Orchestre Métropolitain en ce soir de première à l’Opéra de Montréal. Lorsque les dernières notes de Salomé se sont estompées, la réaction du public en disait long sur la soirée qu’il venait de passer. Non seulement les amateurs québécois s’étaient ennuyés de cette superstar de la musique classique, mais ils étaient également en droit de lui réserver les plus chaleureux applaudissement après avoir assisté à un opéra très moyen où la musique s’est avérée l’une des plus belles réussites.

Disons-le d’entrée de jeu, l’histoire de Salomé est foncièrement mauvaise. Séductrice aux désirs inassouvis, la jeune princesse Salomé est littéralement prête à toutes les bassesses pour obtenir le regard et le baiser de Jochanaan, un prophète enfermé pas très loin derrière. Il la repousse, elle n’accepte ni son refus, ni son rejet. Son beau-père le Roi se désintéresse de sa mère la Reine et propose à Salomé la moitié de son royaume si celle-ci consent à danser pour lui. Bien décidée à obtenir la tête du seul homme ayant osé se refuser à elle, Salomé finit par obtempérer, sans avouer ce qu’elle demandera en retour de cette danse. À quelques détails près, c’est uniquement autour de ce semblant d’histoire que tourne l’œuvre de Richard Strauss. De plus, comme l’opéra nous y a trop souvent habitués, on nous sert une action qui avance avec une infinie lenteur, la courbe dramatique est sur le respirateur artificiel, les phrases se perdent en répétitions, la recherche de synonymes est d’une impressionnante inutilité, subtilité et profondeur se font quasi inexistants, on tourne en rond et on recommence.

Heureusement, les spectateurs peuvent se délecter de la ravissante Niccola Beller Carbone qui, après avoir foulé les planches de la salle Wilfrid-Pelletier il y a un an pour y interpréter le rôle-titre de Tosca, nous revient cette fois pour y jouer une femme enchanteresse et vaniteuse. Sa voix est magnifique, son interprétation est suave et narcissique à souhait, et son corps est une splendeur à voir danser et se dénuder devant les yeux ébahis du Roi.  Pour l'occasion, la soprano est admirablement entourée de John Mac Master et de Judith Forst, dont les voix, l’interprétation et la capacité de se déplacer en intégrant naturellement les multiples codes de l’opéra démontrent toute l’étendue de leur talent et de leur grande expérience.

N’oublions pas la partition musicale qui est interprétée magistralement par l’Orchestre Métropolitain et dirigée de mains de maître par Yannick Nézet-Séguin. C’est beau et majestueux, intense et inquiétant, puissant et hypnotisant. On en vient à regretter d’être à l’opéra et de lire des surtitres, alors que la seule musique suffirait à nous ravir pour une soirée en entier. Heureusement, quelques passages de Salomé optent pour le silence des chanteurs, nous permettant ainsi de profiter pleinement du mouvement et du brio des musiciens.

Rien que pour cela, la soirée n’a pas été gâchée. Mais il s’en est fallu de peu…

Opéra de Montréal – 19 au 31 mars 2011

LES QUATRE SAISONS et CANTATA : les Grands Ballets passant du sublime au diablement festif

Avec des chorégraphies signées Mauro Bigonzetti, la nouvelle production des Grands Ballets Canadiens de Montréal (GBCM) a su jumeler la tradition du ballet classique exécuté sur les notes de Vivaldi avec  l’éclatement festif interprété sur des airs de musique populaire italienne. Les Quatre Saisons et Cantata est rien de moins qu’un spectacle magnifique qui passe à quelques cheveux du grandiose.

Faire le pari de chorégraphier plus de trois quarts d’heures de ballet sur les Quatre Saisons de Vivaldi, un des airs les plus connus et les plus surutilisés de la musique classique, voilà le défi qu’a choisi de relever Mauro Bigonzetti. En choisissant de marier la mouvance des saisons aux rapports d’attraction et de répulsion entre hommes et femmes, Bigonzetti propose des mouvements alternant entre une douce langueur, un amusement candide et une féroce volonté de marquer l’imaginaire. Les spectateurs sont invités à découvrir une saison qui tente de faire sa place, pendant qu’un homme essaie d’apprivoiser l’objet de sa convoitise : les secousses de la nature faisant ainsi échos aux états d’âmes des êtres humains, dotés d’autant de revirements puissants et subtiles que les changements climatiques imposés par Mère Nature. Les passages de groupes et de duos sont généralement puissants, élégants, percussifs et d’une rare efficacité, alors que les solos m’ont laissé de glace plus souvent qu’à leur tour.

Les Grands Ballets Canadiens de Montréal sont l’incarnation même de la pureté du mouvement. Faisant preuve d’un synchronisme presque sans faille, les 35 danseurs de la production exécutent à merveille quelques passages diablement chargés d’intensité. On les sent totalement en phase avec la musique et capables de profiter de l’énergie folle du groupe qu’ils forment sur scène. Malheureusement, le pouvoir d’être branchés sur la vérité brute de leurs émotions et sur les vibrations émotives de leurs partenaires fait cruellement défaut aux danseurs des GBCM. À de nombreuses reprises, nous sommes les témoins de la perfection des corps et de l’aspect sublime du mouvement, mais jamais les danseurs ne réussissent à se connecter les uns avec les autres autrement que par le rythme et l’énergie qui s’en dégage. 

Pas suffisamment de femmes et d'Hommes
Autre fait malheureux : les passages chorégraphiques les plus puissants des Quatre Saisons ont été presque totalement réservés aux danseurs de sexe masculin. Les danseuses sont sous-utilisées et doivent interpréter des élans de légèreté totalement inadéquats pour la musique majestueuse de Vivaldi, alors que leurs collègues danseurs essaient de soutenir la charge brutale de l'oeuvre en ne possédant visiblement pas la virilité et la testostérone nécessaire pour être à la hauteur.


De toute évidence, il manque aux Quatre Saisons de Bigonzetti ce petit supplément d’âme qui permet de partager les grands spectacles des chef-d’œuvres transcendants.

La faiblesse des Quatre Saisons devient la force de Cantata
Les chignons défaits, les costumes voluptueux, les danseurs des GBCM semblent libérés des conventions du ballet classique, et leurs mouvements sont désormais accompagnés de quatre chanteuses italiennes pleinement capables de s’occuper du petit supplément d’âme qui faisait tant défaut aux Quatre Saisons. Grâce aux quatre voix chaudes venues pimenter les rythmes de Mauro Bigonzetti, on ressent cette fois quelque chose de plus viscéral. La chorégraphie de Cantata tend davantage vers un mouvement festif et libérateur qui semble ravir la troupe de danseurs.

Certains préfèrent la tradition sérieusement réglementée des Grands Ballets Canadiens de Montréal. D’autres apprécient davantage que la formation classique de ces danseurs soit mise au service d’une œuvre passionnée et instinctive. Bref, que ce soit pour son divertissement intelligent ou pour la fascination qu’exerce le travail de ses artistes, le nouveau spectacle des GBCM est sans contredit une œuvre qui possède un don pour nous séduire. À vous de décidez s'il a tout ce qu'il faut pour vous charmer.

Théâtre Maisonneuve – 17 au 26 mars 2011

mardi 15 mars 2011

BELLES-SOEURS : tant de raisons de crier au génie


Succès gargantuesque de la dernière saison au Théâtre d’Aujourd’hui et au Centre culturel de Joliette, la production musicale des Belles-Sœurs est un de ces rares spectacles dont vous sortez avec la conviction d’avoir assisté à un chef-d’œuvre. 

Incontournable référence artistique et historique des 43 dernières années, le spectacle des Belles Sœurs est devenu un phénomène des plus actuel grâce à l’adaptation musicale réalisée par le metteur en scène René Richard Cyr et le compositeur Daniel Bélanger.

Musique folk entraînante et émouvante qui rejoint inévitablement nos racines ; parfaite démonstration que les mots de Michel Tremblay peuvent être déposés sur une partition musicale sans en dénaturer la nature et l’identité ; décors à la fois simples et grandiloquents qui recréent à merveille le Québec d’autrefois ; un groupe de 15 actrices aux voix renversantes ; une mise en scène fluide et efficace qui donne sa juste part aux rires, aux émotions et aux moments marquants de chacun des personnages : avouons-le, ces quelques éléments suffisent pour donner envie à quiconque de crier au génie. Pourtant, il y a plus encore…

Marie-Thérèse Fortin incarne une Germain Lauzon avec un aplomb et un enthousiasme digne des plus grandes femmes de cette époque. Guylaine Tremblay démontre l’étendue infinie de son talent en jouant une femme fière, vulnérable et digne de nos plus grands élans de compassion. Kathleen Fortin, qui avait ébranlé des milliers de spectateurs par sa force et son côté rêche en prêtant ses traits à Madame Thénardier dans les Misérables, utilise aujourd’hui la même voix superbement maîtrisée pour interpréter une jeune demoiselle romantique et naïve, dont le manque d’assurance est perceptible jusque dans le mouvement de ses cordes vocales. De son côté, Maude Guérin met à sa main un autre personnage puissant de la dramaturgie québécoise en faisant usage d’un bagage émotif dont elle semble avoir la parfaite maîtrise.

Les chansons des Belles-Sœurs sont merveilleusement déchirantes, agréablement divertissantes, et toujours surprenantes. Elles vous font réfléchir sur le Québec, sur le couple, sur la place de la femme et sur la définition du bonheur.

Qu'on se le dise, l’adaptation musicale des Belles-Sœurs est là pour rester, pour voyager partout au Québec, pour tenter son coup de l’autre côté de l’Atlantique, pour essayer de durer pendant des années, et pour continuer de marquer l’histoire de notre identité avec talent et humilité.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Monument-National de Montréal : 17 mars au 2 avril 2011
Tournée à travers le Québec - les détails via http://www.belles-soeurs.ca/tournee.php

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QUESTION DE SOUFFLE ET DE VIE : moins de flafla, plus de danse
 

vendredi 11 mars 2011

HAMLET au TNM : rencontre au sommet pour un grand moment de théâtre

Qu’on se le dise, la nouvelle mouture d’Hamlet présentée au Théâtre du Nouveau Monde est une rencontre au sommet entre un grand auteur, un traducteur astucieux, une forte distribution, un metteur en scène brillant et un acteur dont le talent ne finit plus de nous impressionner. Du grand, grand théâtre.

On savait le pari extrêmement risqué : plusieurs compagnies de théâtre à travers le monde se sont cassées les dents en essayant de rendre justice aux tourments du jeune Hamlet. Monter du William Shakespeare n’a rien d’anodin, encore moins lorsque l’auteur s’attarde avec autant de dévotion au sens de l’honneur, à la liberté et à la capacité d’agir pour ses convictions. Hamlet est endeuillé, déchiré, son père vient de mourir, et sa mère vient de se remarier avec son oncle, le frère de son défunt père. Aux yeux d’Hamlet, la mort de son père est un assassinat, et le principal suspect est nul autre que le nouveau mari de sa mère. Pleinement décidé à obtenir vengeance, le Prince du Danemark se retire en douce et n’hésite pas à jouer au fou afin d’assouvir ses sombres desseins. Les questions philosophiques qui taraudent le jeune Hamlet se font particulièrement nombreuses tout au long de la pièce, mais jamais les méandres de son esprit ne viennent alourdir son déroulement.

C'est bien connu, la langue de Shakespeare est une langue riche, puissante, évocatrice et cassante qui pourrait faire trébucher bien des acteurs de talent. Pourtant, grâce à un habile travail d’adaptation réalisé par Jean-Marc Dalpé - une coupure par-ci, une nouvelle expression par-là – l’histoire de Hamlet est récitée dans la langue de Molière avec une admirable fluidité.

Saluons bien entendu le travail effectué par le metteur en scène Marc Béland. Les tableaux défilent les uns après les autres avec un rythme et une cohérence des plus efficaces, les déplacements sont étudiés, justifiés et merveilleusement exécutés, les notes de musique placées ici et là nous plongent instantanément dans l’univers tragique du Danemark et de sa royauté, alors que sa direction d’acteurs est tout simplement sublime.

Alain Zouvi, David Savard, Émilie Bibeau, Jean Marchand et Marie-France Lambert, pour ne nommer que ceux-là, sont d’une efficacité sans nom, mais disons-le sans ambages, Benoit McGinnis se démarque en un clin d’oeil. Il serait inapproprié d’affirmer que l’acteur est au sommet de son art, mais force est d’admettre que McGinnis s’en approche de plus en plus. Une diction parfaite, une appropriation fascinante d’un texte incroyablement dense, des émotions qui peuvent aller dans tous les sens, une voix qui se rend jusqu’à la dernière rangée du balcon sans que personne n’ait besoin de tendre l’oreille, un sens du timing exemplaire, une énergie folle qui garde notre intérêt captif jusqu'à la fin, tous les éléments sont réunis pour qu’on puisse dire que c'est du grand art.

Bien entendu, la production d’Hamlet n’est pas parfaite. Quelques répliques sont lancées avec un manque de projection, d’autres avec des accents toniques trop prononcés, et les rares passage qui se déroulent sans la présence énergisante de Benoit McGinnis perdent un peu au change en termes de tension dramatique, mais vraiment rien de grave.

Le rideau tombe. Les gens se lèvent et applaudissent à tout rompre. Longtemps.
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

TNM – 8 mars au 2 avril

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QUESTION DE SOUFFLE ET DE VIE : moins de flafla, plus de danse
 

mercredi 9 mars 2011

Question de souffle et de vie : moins de flafla, plus de danse


 « Question de souffle et de vie » en est un de ces spectacles qui tend vers la multidisciplinarité avec de grandes ambitions, mais qui n’arrive malheureusement pas à satisfaire nos yeux et notre âme avec autant de ravissement. L’aspect dansant est une pure merveille, mais tout le reste de cette nouvelle création laisse à désirer.

Imaginé par le vétéran chorégraphe Roger Sinha, le projet de Sinha Danse a comme principal objectif celui de conscientiser les spectateurs à l’importance du souffle dans la vie, dans son mouvement et dans son évolution. Pour ce faire, le chorégraphe a demandé à ses danseurs de ne jamais taire les bruits de leur respiration en laissant libre cours à ses effets.

Malheureusement pour les danseurs, tout le flafla qui les entoure finit par nuire à la grâce de leurs mouvements. Les incursions de poésie sont mal dirigées, les rimes sont approximatives, les figures de styles trop faciles, et la danseuse à qui l’on a demandé de tendre vers la théâtralité ne possède visiblement pas les connaissances vocales nécessaires afin de transmettre une émotion à travers sa voix. En l’écoutant parler, on a l’impression d’entendre une succession de lettres lancées au fil du vent, sans la moindre impulsion émotive. Roger Sinha prétend chorégraphier des œuvres de danse-théâtre, mais sans savoir ce qu'il faut pour guider ses danseurs.

Comme si la respiration prononcée des danseurs ne suffisait pas pour saisir toute la beauté de ce geste vital, Sinha a ressenti le besoin d’utiliser un micro afin d’amplifier quelques extraits de leur souffle. Résultat : l’outil devient une nuisance technique qui n’ajoute rien d’autre que du bruit. Dans « Question de souffle et de vie », on retrouve également un semblant de projection vidéo, des danseurs qui s’activent sur scène et à l’écran, ainsi que la présence de capteurs de mouvements qui produisent des bruits aux rythmes des interprètes. Malheureusement pour le bonheur des spectateurs, l’aspect technique de ces trois éléments n’est franchement pas maîtrisé.

La grande question de la soirée : pourquoi Roger Sina a-t-il opté pour autant de flafla, alors que son  talent pour la chorégraphie saute aux yeux et qu’il a des danseurs extrêmement talentueux sous la main ?

L’originalité des séquences, la fluidité des mouvements, la beauté des danseurs, leur légèreté, leur complicité, leur rythme, leur langueur, leur intensité, si ce n’était pas de la nervosité des soirs de première qui a nuit au synchronisme de plusieurs passages, les petits tourbillons de danse auraient frôlé la splendeur totale.

Le projet de Roger Sinha aurait pu être un grand spectacle si le chorégraphe avait su se concentrer sur le côté brut de la danse au lieu de s’aventurer maladroitement dans l’esbroufe de la technologie.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Agora de la danse – 9, 10, 11, 12 mars

mardi 8 mars 2011

20 NOVEMBRE : brillante interprétation des confidences d'un assassin

L’œuvre est troublante par endroits, confrontante, malhabile, clichée, elle fait réfléchir, elle indigne, elle désespère. 20 Novembre met la table aux confidences d’un assassin qui prend le public du Théâtre de la Chapelle à témoin avant de venger son inaptitude à vivre en tuant professeurs et élèves d’une école en Allemagne.

Impossible de sortir indifférent d’une représentation de la pièce 20 Novembre. En écoutant le discours anti-sociétal sortir de la bouche de l’acteur Christian Lapointe, on a le réflexe de vouloir se dissocier, se distancer, se protéger. Aux yeux de son personnage, c’est de notre faute s’il n’a pas su entrer dans le cycle perpétuel de l’adaptation humaine. C’est de notre faute si la vie l’a échoué en le poussant à punir quelques-uns de ses compatriotes par la mort.

Qu’on le veuille ou non, 20 Novembre oblige les spectateurs à se positionner et à déterminer si ceux qui prétendent que la vie est bonne sont de brillants menteurs ou si ces paroles provoquent en eux un sentiment de révolte. Le tueur est dérangeant pour notre confort, pour notre bonheur, pour notre foi en la vie et en l’humain. Il essaie, grâce à quelques passages d’écriture maladroits et peu subtiles, de nous enfoncer un message au fond du crâne : « vous êtes tous responsables et complices de mon crime, votre déresponsabilisation est dégoûtante et votre humanité me pue au nez ». Le spectateur est constamment bousculé entre l’option de comprendre ce qui lui arrive et l'idée voulant que dans la vie, les exclus de la société ont généralement deux choix : se laisser écraser ou devenir plus forts que tout le monde.

À mes yeux, le texte de 20 Novembre n’est pas à la hauteur du travail précis et puissant de Brigitte Haentjens et de Christian Lapointe. Outre de succincts excès de colère, l’acteur ne donne jamais dans les cris ou dans la folie exacerbée pour exprimer le monstre de rage qui habite son personnage. On le sent bouillir de l’intérieur et se faner à mesure que le temps passe. Tout ce qui l’entoure impose l’écoute de son discours. La salle est éclairée aux néons, les accessoires se font rares, les décors sont quasi inexistants, et son regard nous oblige à le soutenir.

De son propre aveu, le tueur veut qu’on se souvienne de son visage. Tant mieux, puisque ce ne sont pas des mots qu’on retient après avoir assisté à 20 Novembre, mais plutôt un regard et une série de conflits intérieurs.

Théâtre de la Chapelle – 8 au 26 mars

Crédits photo : Yannick Macdonald

dimanche 6 mars 2011

RÉHABILITATION : autopsie d'un échec

Comment une pièce comme Réhabilitation peut-elle être à ce point mauvaise ? Malgré une histoire imaginée par un auteur de talent, la presque totalité de cette production était digne d’une troupe d’art dramatique de secondaire 5.

Réhabilitation a été écrite par Greg MacArthur, l’auteur de l’excellente pièce Toxique, qui joue présentement au Théâtre d’Aujourd’hui. Disons-le tout de suite, la pièce que présente le Centre Segal a été créée il y a 10 ans, et possède probablement tous les défauts dont l’auteur a su se départir avec les années : manque de clarté, incohérences, morales à cinq sous soulignées à grands coups de marqueur rose fluo. Son histoire de science fiction ne convaincrait même pas les plus grands adeptes du genre.

En plus d’être criblée de défauts, l'œuvre de MacArthur est tellement mauvaise que même le programme m’a semblé plus intéressant. Voici ce qu’on pouvait y lire : « Cette pièce examine la vie de cinq personnages et la façon dont ils réagissent individuellement à une situation où progressivement, on leur vole leur vie, leurs souvenirs, leurs opinions. » En lisant pareille description, j’étais emballé à l’idée de passer mon dimanche après-midi dans l’Ouest de la ville. Environ 2h30 (de trop) plus tard, mon sentiment était malheureusement tout autre.

Question d'être plus précis, l’histoire de Réhabilitation s’intéresse au sort de quelques individus qui se retrouvent dans un centre en Antarctique afin de profiter d’une thérapie dont on ne sait pas grand-chose, en espérant régler des problèmes dont on ne connaît absolument rien et en étant confrontés à des voisins aux personnalités tout ce qu’il y a de plus caricaturales. Les personnages sont risibles. L’histoire part dans toutes les directions. Et aucune d’entre elles ne nous donne envie de la suivre.

Malheureusement pour les spectateurs, la moitié des acteurs empirent l’impression d’échec de la production. Outre la présence de Danièle Lorain et de Michel Mongeau, touchants et toujours crédibles, on se demande comment une telle distribution a pu être mise sur pieds. Michel Bertrand est désincarné, Vanessa Schmit-Craan bafouille plusieurs fois, et Charles-Smith Métellus nous donne l’impression qu’il n’a rien d’un acteur. On l’entend réciter son texte, on ne ressent aucune émotion troubler son jeu, ses bras ne cessent de gigoter et sa tête est constamment positionnée vers l’avant comme pour nous démontrer à quel point il travaille fort quant vient le temps « d’exprimer quelque chose ». Sa diction est déficiente et son niveau de langage oscille maladroitement entre le québécois et le français presque international. Le pire dans tout cela, c’est que Métellus est celui qui a le plus de texte dans toute la pièce…

Après 10 minutes, j'aurais préféré partir. Je suis pourtant resté jusqu'à la fin. Grave erreur.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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TOXIQUE : quand l'humain devient son propre poison


Jusqu’où peut mener la peur de vivre ? Cette question, que de nombreux terroristes et dirigeants ont décidé de tourner à leur avantage, certains diront depuis le 11 septembre, d’autres depuis la nuit des temps, est la trame centrale de la pièce Toxique, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 26 mars.

L’histoire débute avec l’entrée en scène d’une Élise Guilbault en état de choc. Cette mère de famille affirme avoir été la victime d’une attaque bactériologique dans un autobus du centre-ville. Selon son souvenir, le criminel est un homme à la peau sombre, peut-être Indien ou Pakistanais. L’enquête de police débute. Les spécialistes ne trouvent rien. Aucune trace d’agent toxique dans le corps de la victime. Pas plus que de l’homme qui semble s’être évanoui dans la nature. Les témoins de « l’incident » se font rares. Les autorités policières et médicales n’ont d’autres choix que de retourner la victime chez elle.

Lorsque cette dernière rentre à la maison pour retrouver mari et fils, on la sent vulnérable, craintive, capricieuse. Le moindre changement la contrarie. Les mauvais rêves se font une place de choix pendant la nuit. Les hallucinations prennent le relais pendant le jour. Le doute s’installe. A-t-elle été réellement victime d’une attaque chimique ou n’était-ce pas plutôt un sursaut de paranoïa raciale ? Les failles de la victime explosent. Quand la fille du couple revient d’un voyage humanitaire en Algérie, les fissures de cette famille très nord-américaine grossissent à vue d’œil.

La mise en scène de Geoffrey Gaquère est remplie de petites trouvailles placées ici et là, qui servent à alléger la structure du texte de Greg MacArthur qui n’aurait probablement pas survécu à davantage de lourdeur. Non pas que l’histoire de Toxique soit pénible à regarder – la balance du drame et de l’humour étant finement maintenue – mais quand un auteur choisit de poser autant de questions confrontantes, il se doit d’être supporté par une mise en scène fluide et rythmée. Mission accomplie.

Du côté des acteurs, la complicité qui unissait Benoit Drouin-Germain et Sylvie De Morais dans Yellow Moon (Espace GO, novembre 2010) est encore plus belle à voir dans Toxique. Monique Spaziani fait office d’échappatoire humain pour le personnage de Guy Nadon. Tout de la blonde actrice respire la légèreté qui fait si cruellement défaut au personnage d’Élise Guilbault. De leur côté, Nadon et Guilbault sont justes, touchants, dérangeants et solides jusqu’à la fin.

Malgré quelques réflexions soulignées à trait un peu trop prononcé pendant la pièce, Toxique est une œuvre brillante, intelligemment construite, agréable à regarder, et qu'il nous est impossible d'oublier.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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samedi 5 mars 2011

The Dragonfly of Chicoutimi : do you parler français ? I’m a little bit confused.

Quand vous sortez d’un théâtre en vous disant que vous auriez préféré n’avoir jamais quitter votre siège, vous savez que vous venez d’assister à une œuvre marquante. The Dragonfly of Chicoutimi, présentée à l’Espace GO jusqu’au 19 mars, est une pièce qui ne ressemble à aucune autre et qui démontre une fois de plus que le Théâtre PAP est devenue une valeur sûre dans la dramaturgie québécoise.
 
Qu’on se le dise tout de suite, The Dragonfly of Chicoutimi est jouée en anglais du début à la fin, avec ceci de particulier que le texte est livré dans une syntaxe tout ce qu’il y a de plus francophone. Un anglais moyen suffit pour comprendre ce qui se trame dans la tête de Gaston Talbot, dont la personnalité et ses déclinaisons sont représentées par les cinq acteurs qui se trouvent dans d’énormes « cases » accrochées sous nos yeux.
 
Pendant le premier tiers du spectacle, l’histoire de cette libellule chicoutimienne m’a semblé sympathique, mais n’avait pas encore réussi à me stimuler ou à m’ébranler. Cela n’avait pourtant rien pour me décourager puisque j’étais complètement fasciné par la scénographie et la mise en scène de Claude Poissant. La précision du texte récité en chœur à divers moments du spectacle, l’amplification de certaines voix, l’écho ajouté à certaines autres, les passages musicaux qui s’insèrent habilement dans le cours de l’histoire, la chorégraphie des mouvements intégrés à merveille par tous les acteurs, tout de son travail m’a semblé ingénieux, efficace, approprié, bien dosé, et parfaitement utilisé. J’étais ravi.
 
Après environ 30 minutes, le fond est venu rejoindre la forme dans le plaisir que je ressentais depuis le début. Le talent avec lequel Claude Poissant a mis en image les mots de Larry Tremblay est tout simplement fascinant. The Dragonfly of Chicoutimi est un texte complexe sur lequel bien des metteurs en scène auraient pu se casser les dents. Le récit de Gaston Talbot from Chicoutimi navigue entre le rêve et la réalité, le passé et le présent, en plus d’être servi de cinq façons différentes, selon le pan de la personnalité de Gaston qui prend le dessus pour nous la raconter. Présenté ainsi, on pourrait croire que seuls les spectateurs les plus attentifs peuvent comprendre ce qui se déroule sous leurs yeux, mais il n’en est rien. La foule est captive, divertie, et touchée. Gaston Talbot, un homme-enfant perdu et dévoré par le désir qu’il ressent pour un certain Pierre Gagnon, est un personnage qu’on découvre une couche à la fois, en sachant qu’il nous en reste toujours plus à découvrir. La richesse des mots de Larry Tremblay, la justesse du jeu des cinq acteurs (Patrice Dubois, Dany Boudreault, Daniel Parent, Étienne Pilon et Mani Soleymanlou) et l’intelligente mise en scène de Claude Poissant font de cette œuvre quelque chose de beau et de captivant.
 
À quand le prochain spectacle du Théâtre PAP que je cours me procurer des billets ?
 
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
 
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mardi 1 mars 2011

Des Hommes et des Dieux : partir ou bien mourir


Avec trois millions d’entrées en France et plus de 245 000 $ au box-office québécois le week-end dernier, l’histoire de Des Hommes et des Dieux fait courir les foules en mettant de l'avant huit moines français « pris en otage » dans un monastère algérien.

Tout au long du film qui est d'une lenteur extrême, les spectateurs sont confrontés au même dilemme que celui des huit moines français : partir ou bien mourir. Réalisé sans esbroufe, le film de Xavier Beauvois pose des questions morales d’une grande acuité sur la loyauté et l’investissement de soi. Lorsque les moines doivent choisir entre quitter l’Algérie pour se protéger des terroristes ou rester en défendant leurs convictions jusqu’à la fin, les opinions au sein du groupe sont partagées : « partir, c’est mourir » ; « je suis venu ici pour vivre, pas pour mourir en martyre » ; « oui mais partir, c’est fuir ». La réflexion effectuée à travers leurs discussions et leurs cantiques religieux est d’une admirable finesse.

Mentionnons également la grande qualité d’interprétation de l’ensemble de la distribution. Justes, posés, le geste lent et la voix réconfortante, les huit acteurs principaux sont beaux à voir. Michael Lonsdale est d’une sagesse, d’un calme, et d’une bienveillance chaleureuse qui donne envie à quiconque de l’avoir comme grand-père. Lambert Wilson offre quant à lui un mélange de force vulnérable et d’assurance mature à travers les yeux de son personnage.

Malheureusement, une morale humaniste et un groupe d’acteurs talentueux ne suffisent pas pour faire de Des Hommes et des Dieux un grand film.

Le réflexe qu’ont les moines à se tourner vers la parole de Dieu en toutes occasions est bien entendu naturel, mais la présence exacerbée des rituels religieux impose une grande distance émotive avec tous ceux qui se sentent déconnectés de la religion. Plus ils en parlent, moins on écoute. Quelques scènes ont su me toucher, mais lorsque la musique du Lac des cygnes a résonné vers la fin, je n’ai pas pu m’empêcher de repenser aux images de Black Swan, tant la charge émotive de ce film est ô combien plus puissante que celle de Des Hommes et des Dieux. Entre vous et moi, quand on s'ennuie de Nathalie Portman en regardant un film de moines, c’est signe que ce qui défile sous nos yeux manque cruellement de matière pour nous faire vibrer.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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