jeudi 19 janvier 2012

« Tristesse Animal Noir » à l’Espace GO : plus noire sur papier que dans la réalité

J’ai un immense respect pour le Théâtre PÀP, une compagnie qui nous a habitués à des projets de qualité, mêlant risques et originalité depuis des années. En profitant de l’invitation de l’Espace GO pour présenter son nouveau projet, « Tristesse Animal Noir », écrite par la dramaturge allemande Anja Hilling, le PÀP m’a toutefois déçu pour la première fois.

Êtes-vous connectés avec vos émotions, vos pulsions et tout ce qui est enfoui sous la couche de protection que vous chérissez depuis toujours ? Quel effet aurait sur vous un feu de forêt dévastateur dans lequel vous seriez pris pendant deux jours avant que les secours n’arrivent ? Comment l'humain en vous se relèverait-il de l’inimaginable, de la perte de l’Autre et de la perte de soi ? Vous êtes-vous réellement perdus ou la vie s’est-elle faufilée pour que vous vous trouviez ? Toutes ces questions fort pertinentes sont abordées pendant les trois sections de Tristesse Animal Noir.

La première : l’arrivée de six amis insouciants dans une forêt pour un week-end loin de la ville, des discussions sur le poids à perdre de la nouvelle maman, sur la première rencontre des nouveaux amoureux et sur les idées de grandeur du jeune professionnel nouvellement papa. On comprend rapidement la volonté de Hilling de montrer la désinvolture et la surface des choses avant de plonger dans le drame, mais les clichés de ses dialogues et l’absence de complicité entre les acteurs prennent le dessus.

La deuxième : le feu, le drame, la survie. L’écriture d’Anja Hilling prend soudain une teinte plus poétique qu’au début. Notre tête comprend la beauté des images et l’habileté du verbe, mais notre cœur réalise bien vite qu’il n’est pas suffisamment sollicité. On pourrait probablement retirer davantage de ce talent pour les mots si on lisait le texte au lieu de le voir prendre forme sous nos yeux.

La troisième : le renouveau ou l’incapacité de se relever. Le traumatisme, les souvenirs, la culpabilité. L’envie d’oublier, de passer à autre chose. Clause Poissant met en scène un passage où frère et sœur subissent un interrogatoire en verbalisant les questions et les réponses entremêlées. Un autre où il laisse le soin à un acteur de se mettre en bouche les paroles d’un autre personnage. Les deux procédés sont clairs et parfaitement exécutés. Malheureusement, on se sent tenus à distance de la puissance des émotions, une fois de plus.

Même si les projections de feu et de fumée sont réussies, le choix de privilégier une scène pratiquement dépouillée de décors et de concentrer l’attention des spectateurs sur les acteurs à qui on a imposé retenue et neutralité n’est pas ce qu’il y a de plus satisfaisant. Quant aux nombreux passages musicaux, ils viennent renforcer la pièce par moments et l’affaiblir le reste du temps. Les acteurs à qui l'on demande de chanter n’étant pas constants en termes de justesse vocale et émotive. 

De toute évidence, le propos et le concept de Tristesse Animal Noir avaient de quoi susciter notre intérêt. La dernière création du Théâtre PÀP est d’ailleurs très loin d’un échec. Mais le temps se fait long à l’Espace GO.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace GO – 17 janvier au 11 février
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