vendredi 27 avril 2012

Critique de « L’Éclipse » au Théâtre Prospero : la femme au centre de l’univers

Jusqu’au 19 mai prochain, le Théâtre Prospero a l’honneur de profiter du grand talent de l’actrice Andrée Lachapelle dans « L’Éclipse », une œuvre écrite par Joyce Carol Oates et mise en scène par Carmen Jolin.

Si vous arrivez à faire abstraction des décors ordinaires et des costumes ridicules, l’Éclipse risque de vous captiver pendant une bonne partie de la représentation. D’un côté, il y a Muriel, une enseignante retraitée qui refuse de se faire appeler « maman » et qui s’imagine être la victime d’espionnage et de complots. De l’autre, il y a Stephanie, sa fille, qui fait partie d’un groupe politique féministe espérant offrir une troisième voix sérieuse au peuple américain lors des prochaines élections. La pièce de théâtre s’ouvre sur les deux femmes rentrant de l’épicerie, après que la mère ait fait un petit scandale afin de « détourner l’attention des caméras ». Pendant le premier tiers de la pièce, le texte est souvent cliché et maladroit, mais on s’attache à ce tandem mère et fille qui s’aiment sans être capables de se le dire.

L’habile confrontation entre les visions du féminisme d’une trentenaire politiquement impliquée et d’une femme ayant vécu les premiers balbutiements du mouvement s’avère particulièrement fascinante. Cependant, la présence du délire grandissant et de la perte d’autonomie graduelle d’une personne âgée, ainsi que du désir de Stephanie de retrouver son père évanoui dans la nature, nous démontre que l’auteure  a voulu en faire trop. Heureusement, le jeu des actrices arrive à garder notre attention.

Principalement occupée sur les scènes de Québec depuis le début de sa carrière, Ansie St-Martin foule les planches montréalaises pour la quatrième fois avec panache et assurance. Sa voix grave et rauque, sa force vulnérable et son intensité lui permettent de tenir tête à la grande actrice qui lui offre la réplique. Quand Andrée Lachapelle ouvre la bouche, on écoute, on regarde, on se laisse émouvoir, surprendre et attendrir. Il y a quelque chose dans l’œil de cette femme qui vient nous chercher sans effort. Une impression que toutes ses années de métier lui permettent de jouer avec ses émotions comme une virtuose de la musique le fait avec son instrument.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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mercredi 25 avril 2012

« Amaluna » du Cirque du Soleil : des numéros remâchés de grande qualité

Avec une 32e production à son actif, le Cirque du Soleil est-il encore capable de se réinventer ? La question s'impose après avoir assisté à la première du spectacle Amaluna, présentée dans le Vieux-Port de Montréal. Malgré des numéros d’une indéniable qualité et un penchant pour l’esthétisme fort réussi, le dernier-né de la troupe de Guy Laliberté n’est pas à la hauteur des attentes.

Pour le peu qu’il y ait un fil conducteur à l’œuvre dirigée par Diane Paulus, Amaluna est une île gouvernée par des déesses et défendue par des amazones où une jeune fille est initiée à l’amour et à la vie. L’idylle qu’elle entretient avec Romeo parsème le spectacle ici et là, mais force est d’admettre que le Cirque du Soleil n’est pas en train de nous raconter une histoire, mais plutôt d’enchaîner les prouesses techniques en s’assurant de donner toute la place à la puissance féminine.

À cet égard, plusieurs qualités traditionnellement associées aux femmes sont représentées pendant le spectacle : la sensualité et l’intensité du cerceau aérien chanté ; le lyrisme, la fougue et l’intempestivité de la musique interprétée par huit musiciennes en direct sur la scène ; la douceur, la chaleur et la subtilité des éclairages, ainsi que l’incandescente beauté de la plupart des costumes apportent un petit quelque chose de sublime à l’ensemble.

Cependant, la force féminine d’Amaluna est maintes fois devancée par une impression de déjà-vu qui finit par agacer. Le numéro où les amoureux s’amusent dans l’énorme bol d’eau est joli et bien réalisé, sans être soufflant de nouveauté. Celui où les amazones s’exercent aux barres asymétriques n’ajoute pratiquement rien à ce que des gymnastes de niveau national pourraient exécuter. Les petites acrobates asiatiques qui se font tourner comme des crêpes attirent notre attention, mais ne nous surprennent plus. Les passages d’unicycle, de fil de fer et de bascule sont aussi révolutionnaires que celui de la jonglerie. C’est-à-dire, pas du tout.

Les moments forts du spectacle sont plutôt réservés au numéro solo de Romeo, inexpressif, mais ô combien talentueux, à plusieurs interventions rigolotes des deux clowns et au passage où une jeune femme assemble un amas de morceaux de bois avec une minutie, une patience et un contrôle de soi frisant la perfection. La moitié de la foule s’est d’ailleurs levée pour l’ovationner.

Conscients de ne rien bousculer de l’univers circassien avec l’aspect technique d’Amaluna, les créateurs prétendent avoir innové avec une narrativité puissante et recherchée. Voilà un argument bien maladroit lorsque ni l’originalité, ni l’histoire du spectacle n’arrivent à nous transporter. En vérité, le Cirque du Soleil présente aux Montréalais une œuvre à l’image d’une vieille relation amoureuse : ne fournissant plus suffisamment d’efforts pour la réinventer, elle n’offre rien d’autre que du confort et de la facilité.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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-COMÉDIE MUSICALE : "Beauty and the Beast" : presque aussi triste qu'un mauvais sort

mardi 24 avril 2012

The Beauty and the Beast : presque aussi triste qu’un mauvais sort


En 1991, lorsque Disney a produit le film d’animation La Belle et la Bête, mes six ans faisaient de moi le public cible parfait. Quelque 21 ans plus tard, avec une capacité d’émerveillement tout aussi grande qu’à l’époque, je me suis présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place-des-Arts en me disant que le spectacle allait me charmer en un instant et que j’allais sortir de là combler. Ironiquement, j’avais tout faux : la comédie musicale The Beauty and the Beast n’offre rien de comparable à la magie qui opère dans le film de mon enfance.

Lorsque des chansons légendaires telles que « Belle », « Gaston », « Be Our Guest » (« C’est la Fête ») ou « The Beauty and the Beast » résonnent à nos oreilles, on ne peut faire autrement que de sourire, de sentir notre cœur s’emporter et de s’avancer sur notre siège pour être certain de ne rien manquer. Malheureusement pour notre candide nostalgie, les défauts du spectacle sont si nombreux qu’ils réussissent à gâcher pratiquement tout notre plaisir.

Dès les premiers instants, il se dégage de la Belle et la Bête une impression de rigidité dénuée d’émotions. Les acteurs-chanteurs-danseurs sont plaqués dans leur interprétation. Les déplacements sont tous trop placés. Les scènes de batailles où l’on ajoute des bruits de collision sont ridicules. Et on peine à s’attacher aux personnages autrement qu’en se réfugiant dans nos souvenirs.

Comme si tout cela n’était pas assez, l’acteur interprétant la Bête n’arrive pas à imposer la terreur. En plus d’être trop petit, Carter Lynch (une doublure, en ce soir de première) n’a pas l’étoffe d’un maître de château au tempérament bouillant. L’espèce de cache-sexe avec des paillettes que la designer, Ann Hould-Ward, a eu l’idée d’installer sur son costume réussit d’ailleurs à détruire le peu de crédibilité qu’il insufflait à son rôle.

En plus de nous apparaitre franchement limitée en termes de possibilités scénographiques, la production musicale de la Belle et la Bête a eu la mauvaise idée d’ajouter à l’ensemble des tranches d’histoires d’une fausse profondeur et des chansons qui n’arrivent pas à la cheville de celles qui ont fait la renommée du film de Disney.

Plusieurs sections du décor sont magnifiques, l’interprète de Belle, Emily Behny, possède une voix sublime, les créateurs du spectacle ont usé d’ingéniosité pour inventer une version scénique du petit garçon transformé en tasse, mais après une première partie qui s’éternise pendant 90 minutes, on s’en veut presque de ne pas avoir quitté la salle comme plusieurs l’ont fait à l’entracte, au lieu de subir une deuxième partie accélérée maladroitement jusqu’à la fin.

En bout de ligne, on retient quelques bons passages, une déception monstre et une envie irrépressible de revoir le film de Disney.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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-DANSE : "Alvin Ailey American Dance Theater" : ce que l'Afrique et l'Amérique ont fait de plus beau

vendredi 20 avril 2012

Alvin Ailey American Dance Theater : ce que l’Afrique et l’Amérique ont fait de plus beau !


Véritable joyau de la danse moderne américaine, la compagnie Alvin Ailey Dance Theater soulève les passions depuis 1958. Qu’on se le tienne pour dit : toute personne ayant le titre d’interprète (acteur, musicien, chanteur, danseur et autre) devrait jeter un coup d’œil à l’incontestable vérité brute qui se dégage des chorégraphies afro-américaines, présentées du 19 au 21 avril à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place-des-Arts.

Même si aucune histoire ne relie les chorégraphies de Alvin Ailey et de son actuel successeur, Robert Battle, il se trouve néanmoins un fil conducteur qui se concentre sur la souffrance du peuple noir, leurs rituels religieux et les tristement célèbres champs de coton, sur fond de musique gospel, blues et de ragtime.

Après une première section proprette, signée Ailey, où les mouvements uniformes évoquent en nous très peu d’émotions, la foule de la salle Wilfrid-Pelletier est littéralement enflammée par les trois chorégraphies imaginées par Robbert Battle. D’abord, In/Side, dansée sur la voix dramatique de Nina Simone, interprétant Wild is the Wind. Le soliste Yannick Lebrun est au paroxysme de l’intensité, de la déchirure et de l’émotion pure. Ces quelques minutes suffisent à nous convaincre que nous avons droit à quelque chose de grand.

Viens ensuite Takademe et The Hunt où la virilité est à l’honneur. La force toute-puissante qui se dégage des six danseurs fait raisonner en nous des instincts de guerriers franchement vivifiants. Athlétiques, intenses, exigeantes et nous donnant l’impression d’observer ce que l’Afrique et l’Amérique ont fait de meilleur, ces deux chorégraphies de Robert Battle  franchement trépidantes. On passerait des heures à regarder les danseurs s’exécuter sur des rythmes endiablés sans jamais se lasser.

Le tout se termine avec Revelations, où le chorégraphe Alvin Ailey replonge dans le Texas des années 30. Moins percutante et mémorable que les sections précédentes, la conclusion du spectacle offre néanmoins sont lot d’images et de sentiments extrêmement forts où le black spirit est à son meilleur.

En ayant la sublime idée d’inviter la compagnie Alvin Ailey Dance Theater, les Grands Ballets permettent au public montréalais de goûter à une danse qu’il est tout simplement impossible d’oublier. Les froides lignes du ballet classique nous apparaissent bien fades aux côtés de l’incarnation chaleureuse de ce talent brut pour la danse.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Textes récents :
-THÉÂTRE : "Les Peintres du charbon" chez Duceppe" : charmante leçon d'histoire de l'art pour les Nuls
-THÉÂTRE : "Je pense à Yu" au Théâtre d'Aujourd'hui : petit fragment de résistance
-LIVRE : "Volte-face et malaises" de Rafaële Germain : aussi puissant qu'une peine d'amour

lundi 9 avril 2012

« Les peintres du charbon » chez Duceppe : charmante leçon d’histoire de l’art pour les Nuls

En faisant le choix de conclure sa saison avec « Les peintres du charbon », de l’auteur anglais Lee Hall, le Théâtre Jean Duceppe fait le pari de confronter ses fidèles amateurs de théâtre populaire aux différents préjugés que la société peut avoir face aux différentes formes d’expressions artistiques.

Habilement traduite par Monique Duceppe, l’histoire se déroule dans la petite ville d’Ashington, en Angleterre, où des mineurs prennent une heure par semaine pour être initiés à différentes matières académiques : biologie, psychologie et bien d’autres. Le jour où un professeur d’université arrive dans leur petit local pour les initier à l’histoire de l’art, les mineurs, peu scolarisés et peu cultivés, lui font comprendre qu’ils s’attendaient plutôt à développer leur capacité à comprendre une toile comme tout le monde. Constatant rapidement que la meilleure façon pour eux d’apprivoiser l’art est de s’y exercer, le professeur entreprendra une série de projets qui stimuleront leur réflexion et leur appréciation. 

Donnant  lieu à plusieurs moments comiques très simples, mais fort réussis, les contrastes provoqués par l’ignorance des mineurs et les connaissances qu’on tente de leur inculquer permettent au public de se mettre à niveau face aux différentes visions artistiques. En confrontant les mineurs à leurs propres préjugés, l’auteur des « Peintres du charbon » s’interroge sur la supposée utilité de l’art, sur le sens multiple d’une œuvre et sur le plaisir ultime de créer sans aucun autre but que celui de se faire plaisir. Bien que le ton franchement pédagogique de l’œuvre puisse en agacer plusieurs, ce choix d’écriture permet de décortiquer plusieurs idées préconçues avec brio.

D’une durée d’environ 150 minutes, l’œuvre mise en scène par Claude Maher offre plusieurs bons moments dans la deuxième partie, alors que le travail artistique des mineurs attire l’attention un peu partout au pays et que l’un d’eux – doté d’un talent indubitable – est déchiré entre la possibilité de vivre de son art ou de rester dans le milieu qu’il connait depuis toujours. Néanmoins, la première partie de la pièce est tellement forte que le spectacle aurait pu se terminer à l’entracte sans que le public n’y voit d’inconvénient. Après avoir assisté à une brillante déconstruction d’une série de mythes sur l’art et à une « finale » solennelle où les mineurs se tournent vers lui pour exprimer une nouvelle compréhension, le public a droit à une indication de l’acteur Normand D’Amour, qui souhaite leur faire comprendre qu’une deuxième partie se prépare, démontrant ainsi la maladresse de la montée dramatique. 

Toujours est-il que malgré l’aspect pédagogique très appuyé et le manque de nuances dans la mise en scène, la dernière œuvre de la saison chez Duceppe relève le défi d’ébranler nos convictions en nous faisant passer une charmante soirée en compagnie d’une distribution talentueuse et très attachante.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Textes du mois d'avril :
-THÉÂTRE : "Je pense à Yu" au Théâtre d'Aujourd'hui : petit fragment de résistance
-LIVRE : "Volte-face et malaises" de Rafaële Germain : aussi puissant qu'une peine d'amour

vendredi 6 avril 2012

Critique de « Je pense à Yu » au Théâtre d’Aujourd’hui : petit fragment de résistance

Tout juste après nous avoir présenté « Ines Pérée et Inat tendu », qui se révoltaient contre l’indifférence et l’aseptisation de la société, le Théâtre d’Aujourd’hui termine sa saison avec une autre parcelle de révolution : « Je pense à Yu », où les mots de Carole Fréchette nous donnent envie de quitter notre indifférence et de sortir dans les rues pour être entendus.

Madeleine, femme dans la cinquantaine, traductrice occasionnelle et professeur de français d’une jeune immigrante chinoise, passe le plus clair de son temps dans l’appartement où elle vient d’emménager. Un matin, lors d’un moment de lecture agréablement solitaire, elle tombe sur un entrefilet l’informant de la libération de Yo Dongyue, un journaliste chinois emprisonné pendant 17 ans pour avoir lancé de la peinture sur le sacro-saint portrait de Mao, lors de la révolution de mai 89. Obnubilée par cette histoire, elle fera tout pour découvrir ses motivations, quitte à délaisser son travail et ses obligations envers son élève.

Ébranlée par ce jeune homme qu’elle juge courageux, capable de défier la Chine toute-puissante et n’hésitant pas à se priver d’une partie de sa vie pour se faire entendre, Madeleine se replie sur elle-même, priorise ses envies à ses engagements et pose de nombreux gestes contraires à sa réflexion. Visitée par un voisin de nature calme et conciliante, la femme se questionne sur le sens de l’investissement, du sacrifice et des mouvements de révolte.

Même si on devient vite agacé par le choix de la metteure en scène, Marie Gignac, de faire jouer sur bande audio les dialogues intérieurs de Madeleine et de projeter sur un mur les pensées intimes de son journal, force est d’admettre que l’auteure Carole Fréchette fait preuve d’un talent indubitable pour verbaliser l’introspection et le questionnement de soi.

La dramaturge possède également une capacité évidente à laisser ses personnages abandonner leur retenue pour dire avec authenticité ce qu’ils pensent vraiment. Le moment où Madeleine s’insurge au sujet de la supposée inutilité du geste de Yu, que son voisin perçoit comme de l’inconscience sans la moindre portée, on ne peut faire autrement que de s’avancer sur le bout de notre siège, d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles, et de se laisser enflammer. En l’entendant discourir sur ceux qui préfèrent tout accepter sans rien dire, qui se résignent face au pouvoir en place et qui n’ont tout simplement pas la conscience du groupe, il devient impossible de ne pas songer aux étudiants qui manifestent depuis des semaines et aux différentes révoltes mondiales qui ont jalonné notre histoire.

En misant sur cette touchante réflexion branchée directement sur l’actualité, le Théâtre d’Aujourd’hui s’avère encore et toujours un grand gage de qualité.

*Crédit photo : Valérie Remise

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Textes du mois d'avril :
-LIVRE : "Volte-face et malaises" de Rafaële Germain : aussi puissant qu'une peine d'amour

mercredi 4 avril 2012

"Volte-face et malaises" de Rafaële Germain : aussi puissant qu'une peine d'amour



Il est entré dans ma vie quelques jours après que la chaleur estivale du mois de mars se soit enfuie. J’étais assis dans mon lit, vautré dans mes oreillers, au troisième étage d’un appartement surplombant la belle Hochelaga, lorsque mes doigts s’en sont approchés. Ses premiers mots se sont faufilés, les battements de mon cœur se sont emportés, mes mains sont devenues moites et j’ai compris à cet instant précis qu’il m’avait gagné. Ce roman, cet hymne à la peine d’amour, écrit par une Rafaële Germain maîtrisant parfaitement l’équilibre entre le drame et l’humour, nous invite à découvrir comment se retrouver et se relever.

À 32 ans, Geneviève Creighan vient de se faire laisser par Florian, son amoureux des six dernières années, qu’elle croyait aimer pour les siècles des siècles. En apprenant qu’il la quitte pour une « crisse de hipster à marde avec ses osties de lunettes du Mile-End », elle s’écroule. Enfermée dans le condo de celui qu’elle doit maintenant appeler son « ex », le visage perdu dans la fourrure réconfortante de ses deux chats, noyée dans une quantité d’alcool et de larmes, la belle abandonnée se fait prendre en mains par ses amis, Nicolas et Catherine, qui ne lésinent par sur les mesures d’urgence : déménagement, écoute, conseils, moqueries, surdose de confidences, psychothérapeute imprévisible, nouvel amant au tempérament apaisant, et toujours plus d’alcool. Non seulement les trois personnages sont-ils attachants et incontestablement irrésistibles, mais leur solidarité amicale est à faire pâlir d'envie.

Contrairement aux deux premiers romans de Rafaële Germain qui faisaient l’apanage du célibat, tout en plongeant dans la quête amoureuse d’une jeune trentenaire, « Volte-face et malaises » règle le cas de la rupture et de ses dommages collatéraux. Avec un vocabulaire cru et direct, un rythme haletant, des images percutantes et une cruelle lucidité sur les rapports amoureux, l’auteure nous invite à remonter la pente, étape par étape : la triste nostalgie de « la fois que », le troublant constat que nous faisons partie de la nation des célibataires, l’inévitable nécessité de s’analyser et de réaliser que derrière la rupture se cache toute la « marde » intérieure que nous tentions de dissimuler pendant des années, le tout agrémenté d’une énorme dose d’humour.

En osant scruter les failles, les erreurs et les zones de vulnérabilité de son personnage principal, Rafaële Germain permet à ses lecteurs de se défouler à travers ses mots, d’éclater de rire à tout bout de champ et d’être émus plus souvent qu’à leur tour. Le réalisme des dialogues, le ton franchement moderne et l’impression rafraichissante d’avoir affaire à une jeunesse qui nous ressemble procurent un bien-être immense à toute personne ayant un minimum de recul sur l’une ou l’autre de ses ruptures.

À l’image de l'immense peine d’amour qu’elle dissèque pendant une bonne partie de ses 525 pages, l’histoire de « Volte-face et malaises » est de celles qui font mal au cœur lorsqu’elles se terminent. 


Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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