vendredi 31 août 2012

Le Ventriloque : la force de l’imaginaire à la puissance 10 !


La fraicheur de la jeunesse et les méandres de l’imagination font équipe au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 15 septembre, alors que les finissants de l’École Nationale de Théâtre offrent au grand public la sublime version du Ventriloque qu’ils ont montée en troisième année, sous la direction d’Éric Jean. 

Impressionné par le talent et la cohésion des membres de la cohorte 2012 de l’ENT, qui se présentent comme « La troupe de la fin du monde », en référence à la prémonition du calendrier Maya, le metteur en scène a eu la brillante idée de présenter cette production incroyablement rodée aux amateurs du Quat’Sous. En plus de travailler avec 10 jeunes acteurs solides et talentueux – mentions toutes spéciales à la virtuosité de Jean-François Pronovost, Charli Arcouette, Maxime Mailloux et Béatrice Aubry – Éric Jean pouvait compter sur le texte profondément unique de Larry Tremblay. 

Structuré comme des poupées russes, avec une série de mises en abime, Le Ventriloque s’ouvre sur une jeune fille de 16 ans qui reçoit en cadeau un crayon capable de réaliser tout ce qu’elle couche sur papier. Plongée dans la féroce exultation de la création, coupée du monde réel et salivant à l’idée d’écrire un roman plus grand que ceux de Balzac, l’adolescente nous invite à nager dans les eaux troubles de son monde intérieur. 

Profitant d’une mise en scène follement inventive où le chaos de l’imagination est parfaitement maîtrisé, le Ventriloque d'Éric Jean propose à dix acteurs de jouer les rôles initialement prévus pour deux. Permettant à cette histoire aux allures cauchemardesques de multiplier ses possibilités, ses visages et ses couleurs, le choix de miser sur autant d’acteurs est une fabuleuse trouvaille.

Réflexion profonde et effervescente sur l’emprise de l’imaginaire sur nos vies, Le Ventriloque se questionne à savoir si nous sommes de simples pantins régis par un monde que notre cerveau invente de toutes pièces ou si nous avons le plein contrôle sur les ramifications de notre imagination. D’histoire en histoire, de mise en abime à mise en abime, les mots de Larry Tremblay nous perdent volontairement pour mieux nous retrouver, réussissant à faire ce qu’ils veulent de notre rationalité et de notre désir de tout contrôler. 

Allez-y sans réfléchir ! Votre imagination ne s’en portera que mieux.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Le Ventriloque, jusqu’au 15 septembre
Théâtre de Quat’Sous
http://www.quatsous.com/1213/saison/le-ventriloque.php

jeudi 23 août 2012

« Comment je suis devenue touriste » : le bonheur futile en prend pour son rhume !


Vous rêvez depuis toujours de décocher une bonne droite au capitalisme, de faire un croque-en-jambes aux touristes envahissants et de mettre au plancher ce besoin furieusement répandu de se conformer à la masse pour accéder au bonheur ? Si vous avez répondu « oui » à l’une ou l’autre de ces questions, il se peut que la pièce « Comment je suis devenue touriste », présentée à la Petite Licorne jusqu’au 6 septembre, soit le remède à tous les maux de l’été qui tire à sa fin. 

Occupant fièrement le créneau estival de la nouvelle saison du Théâtre La Licorne, les Biches Pensives débutent « Comment je suis devenue touriste » en nous montrant une Alexandra assise paisiblement sur un divan en poils roses, contemplant le vide réconfortant de son existence, se préparant à une nouvelle journée de travail à la Crêperie Bretonne de la Vieille Capitale, là où elle travaille trois fois par semaine, au salaire minimum, en attendant de terminer une maîtrise en ethnologie qui n’en finit plus de ne pas finir. Surgit alors une version de ce qu’elle était il y a 14 mois, à l’époque où elle avait choisi de larguer sa vie d’autrefois pour partir à la découverte du monde avec une valise pleine de convictions et un sac à dos remplis d’idéaux. 

Avec une énergie s’apparentant à celle d’un bâton de dynamite sur le point d’exploser, l’Alexandra d’autrefois s’en prend aux affres du capitalisme, au manque de considération des touristes, au désir de transformer la terre en marchandise et au réflexe d’utiliser son bonheur confortable afin de justifier sa paresse. Les vannes envoyées au touriste nord-américain moyen sont libératrices. L’exaltation essoufflante de cette belle enragée réveille en nous le besoin de nous faire entendre, d’éviter les lieux communs du rêve américain et de nous battre pour nos aspirations les plus folles. 

Mais voilà qu’une série de questionnements nous font réaliser que tout n’est pas aussi clair et subjectif dans la réalité. La vieille Alexandra est-elle fidèle à ses convictions de « seule contre tous », si elle paie un homme pour l’accompagner partout afin d’immortaliser son aventure en photos ? L’intégrité de sa quête est-elle convaincante, sachant qu’elle profite des 10 000$ offerts par son papa chéri pour gueuler son mépris d’une société en chute libre dont elle fait visiblement encore partie ? N’y a-t-il pas un juste milieu entre l’indifférence crasse de son bonheur futile et l’intransigeance béate de sa rage éternelle ?

En s’appropriant merveilleusement bien le texte de Jean-Philippe Lehoux et en se prêtant au jeu de la simplicité de la mise en scène de Michel-Maxime Legault, les Biches Pensives nous proposent une série de réflexions enrobées de fous rires, de situations loufoques, de prises de position reluisantes de bonnes intentions et de personnages fichtrement attachants.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Petite Licorne – 19 août au 6 septembre
http://theatrelalicorne.com/

mercredi 22 août 2012

Les drag queens de Changing Room : au summum du divertissement !


Du 21 août au 8 septembre, l’Espace Libre vous invite à faire tomber la barrière de vos préjugés en assistant au spectacle diablement drôle et divertissant des personnificateurs féminins de la pièce Changing Room, un docu-théâtre interactif écrit et mis en scène par Alexandre Fecteau. 

Dans la tête de plusieurs drag queens, une soirée est réussie seulement si les spectateurs profitent du spectacle pour ne plus penser à leur facture d’Hydro. Changing Room est donc l’occasion rêvée de vous débrancher le cerveau, de vérifier le fonctionnement de votre rate et d’exercer les muscles de votre visage qui se délieront au rythme de vos fous rires. 

Relevant l’énorme défi de garder notre intérêt captif pendant plus de 3 heures, les drag-queens de Changing Room doivent une fière chandelle à leur animatrice, Délice (Anne-Marie Côté), qui se charge de réchauffer la foule avec un talent incroyable pour le clin d’œil grivois, la bitcherie bien lancée et la réplique improvisée. C’est ainsi que dans sa bouche, l’Espace Libre devient l’Espace Lourd, dirigé par un « Phallus Ducrosse » qui aurait supposément demandé à ce spectacle vu et acclamé dans la Vieille Capitale d’occuper la case horaire initialement prévue pour un autre spectacle de tapettes produit par une personnalité bien connue des Québécois. S’assurant de présenter l’univers des drag queens comme il se doit, Délice profite aussi de sa tribune pour scander des slogans à l’endroit des leaders étudiants, pour inviter les vieux spectateurs à payer leurs shooters plus chers que ceux des jeunes, pour rire des comédiens, des mimes, des gais, des lesbiennes et d’à peu près tout ce qui lui passe sous les yeux.

Grâce à une projection vidéo sur écran géant, le public est ensuite invité à découvrir les loges de l'Espace Libre, où lui seront racontés les parcours des différentes drags : débuts, évolution, rêves déchus, meilleurs et pires souvenirs, clichés et autres écueils associés à leur milieu. Bien que longuettes et un tant soit peu redondantes par moment, ces portions « documentaires » titillent malgré tout notre attention. Même impression pour les incontournables numéros de drags queens, qui sont pour la plupart bien faits et agréables pour l’œil, mais sans être à la hauteur de ce que l'on voit depuis dix ans au Cabaret Chez Mado dans le Village gai. 

Au-delà des chorégraphies, du lipsing et du bitchage, Changing Room s’amuse à déconstruire les cloisons de la fiction théâtrale et de la réalité documentaire avec plusieurs idées ingénieuses (on vous laisse la surprise), en plus de livrer les réflexions émouvantes et pleines de lucidité sur la perception du public à l’égard de la minorité visible (les drags) d’une autre minorité visible (la communauté gaie).

En représentant parfaitement bien l’impression de chaos contrôlé des cabarets, en y allant d’audace, d’humour et d’excentricités, en se donnant le droit de s’approprier les codes du théâtre à sa guise et en nous faisant passer une fichue de belle soirée, Alexandre Fecteau mérite toute notre admiration.

L’heure de la rentrée théâtrale a sonné !

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace Libre – 21 août au 8 septembre
http://www.espacelibre.qc.ca/

Crédit photo : Guillaume Cyr

vendredi 3 août 2012

Wicked : la quintessence de la comédie musicale !



Présentées à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place-des-Arts, du 1er au 26 août, les nombreuses représentations de la comédie musicale Wicked offrent au public montréalais un savoureux mélange des ingrédients ayant contribué au succès de Hairspray, Shrek, Mean Girls, Legaly Blonde et Alice in Wonderland.

Portée par un succès populaire depuis ses débuts sur les planches de Broadway il y a bientôt 10 ans, Wicked tire une grande partie de sa force dans l'aspect multidimensionnel de ses personnages. Même si la très mauvaise publicité télévisée du spectacle présente les deux jeunes femmes comme «  la bonne sorcière et la méchante », tout n’est pas aussi blanc et noir au royaume du Magicien d'Oz. 

La jeune Elphaba, repoussée par son père et par ses collègues de classe en raison de sa peau verdâtre, aspire à l’égalité et la liberté, tout en se disant imperméable à l’opinion des autres. En plus de veiller sur sa sœur handicapée, Elphaba doit composer avec une co-chambreuse qui donnerait tout pour augmenter sa popularité. Blonde, pétillante et écervelée, Galinda mène la vie dure à la cousine de la fesse gauche de l’ogre Shrek, avec autant de férocité que les adolescentes du film Mean Girls. Bien que les dispositifs narratifs soient d’abord mis en place pour que le public se range du côté d’Elphaba, il est carrément impossible de ne pas succomber au charme de Galinda. Sa coquetterie, son exubérance et le vide abyssal de certaines de ses répliques rappellent Reese Witherspoon de Legaly Blonde et nous la rendent attachante en un clin d'oeil.  

Les deux adolescentes deviendront éventuellement amies, jusqu'à ce qu'Elphaba soit convoquée pour une rencontre avec le grand magicien et que son univers tout entier bascule : rejetée par les habitants du royaume à qui l’on a raconté des faussetés, elle devra fuir en abandonnant tous ceux qu’elle aime. Y compris la princesse blondinette qui devient le porte-étendard de l’optimisme rose bonbon, ainsi qu’un Charmant Jeune Homme, style Zac Efron dans Hairspray, déchiré entre la nouvelle tête couronnée du royaume et l’autre moins jolie, mais tellement plus vraie, qui doit choisir l’exil. 

Pour l’habile déconstruction des réflexes manichéens de la plupart des histoires populaires, pour les chorégraphies qui incorporent un soupçon de danse contemporaine aux traditionnelles steppettes des spectacles musicaux, pour le talent redoutable de ses interprètes principales (mention toute spéciale à Jeanna De Waal, au timbre magnifiquement cristallin) et pour l’humour bon enfant qui côtoie le cynisme désopilant, les trois heures consacrées à la comédie musicale Wicked valent franchement le détour. 

Sans être aussi mémorable que The Lion King et sans profiter de chansons phare comme celles de The Beauty and the Beast, Wicked est tout de même un spectacle que le public montréalais n’est pas prêt d’oublier.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin