mercredi 4 décembre 2013

CRITIQUE des Contes urbains 2013 à La Licorne : une soirée qui donne envie de frencher l’humanité !


Déjà plus de sept ans que je demeure à Montréal et que les Contes urbains font partie de mes traditions du temps des Fêtes. Un an après une édition qui m’avait déçu, voilà que mon incontournable de décembre a retrouvé toute la verve et la magie qu’il lui faut pour marquer ma tête et mon cœur jusqu’à la nouvelle année. 

Les six textes racontent la ville, les Fêtes et la vie avec un soupçon de trash, quelques pincées d’onirisme, deux ou trois claques de lucidité et un édredon de réconfort.

La soirée s’ouvre sur « Madame Renard », de Julie-Anne Ranger-Beauregard. Récitée par une Rachel Graton touchante, forte et vulnérable, l’histoire a l’étoffe des légendes animalières qui décrivent l’homme à travers les époques. Un récit de résilience et de romantisme d’autrefois qui éblouit de splendeur.

Arrivent ensuite Hubert Proulx et « Saucisse Bacon », le texte de Martin Bellemare qui nous ramène dans un monde de nostalgie paternelle et de fertilité un peu trop ancré dans le détail, le concret et la familiarité pour suivre efficacement le conte précédent. 

Catherine Trudeau agit tel un point d’orgue à la première partie en nous plongeant dans « Votre crucifixion », un brillant texte de Rébecca Deraspe sur le gouffre sans fond de la culpabilité parentale et du jugement de ceux qui « savent ». Campée aux alentours du Cinéma Beaubien en pleine période des festivités, l’anecdote est rapidement transformée en cauchemar aux dimensions titanesques. Incarnation parfaite de la mère québécoise, Trudeau nous livre une histoire à l’exagération jouissive et rafraichissante sur un sujet mille fois traité.  

Au retour de la pause, on retrouve Hubert Lemire, d’une vérité fragile et pure. Il nous invite dans son appartement, là où son colocataire gai (tout comme lui) vit une peine d’amour foudroyante, à l’ère des sites et des applications mobiles de rencontres. Rythmé, percutant, touchant et très ancré dans le réel, le texte d’Olivier Sylvestre repart la soirée en force.

L’élan est quelque peu freiné par le conte « Ruby pleine de marde », dans lequel l’auteur Sébastien David décrit la joute que se livrent deux êtres que rien n’aurait dû rassembler : une fillette détestable et un homme qui se fait passer pour le coloc de son amoureux dans une famille arriérée. Malgré quelques brillants éclats dans le propos et l’interprétation juste et honnête de Mathieu Gosselin, le texte manque d’originalité et de surprise.

À la toute fin, le coup de grâce. Récité par Marie-Ève Milot, une actrice qui vous parle droit dans le cœur, le conte « Ce qui dépasse » d’Annick Lefebvre est l’un des plus beaux que j’ai entendu à La Licorne au cours des dernières années. Après nous avoir ému en énumérant les ingrédients et les techniques de cuisine d’autrefois qui font défaut à nos soirées jeunes et branchées, Milot réfléchit avec tendresse sur l’individualisme d’aujourd’hui, se remémore les moments de grâce où la collectivité à pleurer et exulter au cours de la dernière année, en plus d’insister sur la nécessité de se rappeler du « nous », dans toute sa beauté. 

On alterne entre nostalgie et rêves pour le futur, on passe des rires aux pleurs, et on sort du théâtre avec l’envie de frencher l’humanité !

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Mon roman, « À CAUSE DES GARÇONS » est en librairies partout au Québec depuis le 25 septembre  2013 : http://editionsdruide.com/livres/nouveautes/a-cause-des-garcons/

vendredi 15 novembre 2013

CRITIQUE de « La clôture de l’amour » au Quat’Sous : la mise à mort du couple

En assistant à une représentation de La clôture de l’amour, que Maude Guérin et Christian Bégin ont qualifiée de défi olympique, les spectateurs ont effectivement l’impression d’assister à un décathlon où deux anciens amoureux tentent d’aller plus haut, plus loin et plus fort afin de mettre à mort le couple qu’ils ont déjà formé. 

Stan est un metteur en scène. Audrey est une actrice. Après des années d’amour, de couple et de parentalité, les voilà au point de rupture. Chacun leur tour, ils se balancent au visage leurs quatre vérités (x 1000), avant de se quitter. Composé de deux monologues d’une heure, le texte de Pascal Rambert exige des acteurs une écoute exemplaire, un corps pleinement habité et un non verbal bien dosé.

Le personnage de Christian Bégin entre sur scène en signifiant à sa belle d’autrefois qu’il se sent prisonnier dans la toile qu’elle aurait supposément tissée autour de lui. Intello assumé, il fait partie de ces humains qui utilisent les mots pour attaquer, blesser et tenir à distance. Il se vautre dans les théories conceptuelles pour exprimer sa réflexion : une succession d’idées qu’il veut rationnelles et déconnectées du cœur. 

Tout dépendant de votre perception face à l’amour, au couple et à la vie, il se peut que vous trouviez carrément insupportable cet homme, ses mots, son venin, ses répétitions, son corps déglingué, ses mouvements de bras incessants, sa façon désespérée de s’attacher aux choses plutôt qu’aux sentiments, sa volonté de blesser, de crier son désamour et d’aspirer tout ce qu’il y avait entre elle et lui pour laisser le vide… en elle. Christian Bégin a, de toute évidence, tout le talent nécessaire pour rendre justice à son Stan. 

Vient alors la libération, la réplique d’Audrey, l’émotive, la vraie, la femme blessée, celle qui ne comprend pas qu’on puisse balancer de telles paroles au visage de qui que ce soit, encore moins de l’être qu’on a jadis aimé. D’abord complètement vidée émotivement, elle reprend tranquillement ses forces, lui répond, l’accule au pied du mur, lève le voile sur les contradictions de Stan, son absence d’intériorité, son mépris. 

Réputée pour son intensité et sa force dramatiques d’une incommensurable puissance, Maude Guérin se révèle une fois de plus à la hauteur. Son émotivité, sa vérité pure, son lot de nuances dans ses réactions, sa voix, sa rythmique, ses intonations et son non verbal rendent Audrey beaucoup plus humaine et accessible que le Stan volontairement et pertinemment cérébral de Christian Bégin. 

La clôture de l’amour est fascinante, tant par la force de son écriture que par le génie de ses interprètes. Toutefois, la pièce peut s’avérer très éprouvante pour les spectateurs. Malgré les efforts du metteur en scène pour faire respirer la pièce avec l’insertion de pauses et de mouvements, le propos et la charge émotive du texte finissent par nous étouffer et nous tenir à distance. Les sentiments sont à ce point exacerbés sur scène qu’on en vient à se refroidir, à partir dans la lune ou à se déconnecter de nos propres émotions.

Cette idée de mettre en opposition deux monologues pose également problème. Bien que le théâtre ne serve pas seulement à représenter la réalité, cet échange sans interactions verbales a le même effet que les théories et les concepts de Stan : il nous tient à distance des émotions. Des répliques livrées du tac au tac, plus convenues dans la forme, auraient sûrement permis au texte brutalement lucide de Rambert d’atteindre des niveaux dramatiques encore plus élevés.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Mon roman, « À CAUSE DES GARÇONS » est en librairies partout au Québec depuis le 25 septembre : http://editionsdruide.com/livres/nouveautes/a-cause-des-garcons/

La Clôture de l’amour
11 novembre au 6 décembre 2013
Quat’Sous

vendredi 1 novembre 2013

« La traversée de la mer intérieure » : la politique qui va droit au cœur (CRITIQUE)


Même si les téléjournaux croulent sous les nouvelles au sujet des élections municipales, des scandales au Sénat, de la commission Charbonneau et du projet de la Charte des valeurs québécoises, le Théâtre Jean Duceppe a trouvé le moyen de mettre à l’affiche une pièce qui tourne autour de la politique et qui réussit à nous captiver, nous émouvoir et nous surprendre.

Le dramaturge Jean-Rock Gaudreault a imaginé l’histoire de Rosaire Bouchard (Michel Dumont), ancien député provincial du comté de Roberval, assurément péquiste, et ex-maire de Péribonka, au Lac-Saint-Jean. La pièce s’ouvre sur le retour du vieux Jeannois, après un voyage autour du monde où il a tenté de « retrouver » sa femme, récemment décédée. En continuant de panser ses plaies au chalet du couple, il fera appel à sa complice et infatigable organisatrice électorale, Solange Lemieux (Pauline Martin), pour devenir à nouveau député. Véritable électron libre qui n’a jamais eu la langue dans sa poche, l’homme recevra la visite d’un conseiller politique (Pierre-François Legendre) de la haute direction du parti, qui veut s’assurer de la bonne tenue du vieux renard, à l’ère des réseaux sociaux et des courses à l’intégrité. 

La pièce de Gaudreault regorge de thématiques aussi intéressantes que pertinentes : la confrontation des générations sur les méthodes électorales, la vision de la région et de la grande ville (en évitant la caricature), et plus spécialement, l’héritage sociétal et politique des baby-boomers. Cette génération qui a trouvé la machine à imprimer de l’argent, qui a inventé le concept de liberté 55, qui a investi dans la famille une fois que le taux de natalité avait atteint 1,2 enfant par famille et dans la santé en réalisant que la population (eux-mêmes) vieillissait. Le jeune conseiller politique lancera même une phrase percutante au vieux Rosaire : « Vos idées sont dépassées, vous le savez, mais vous êtes encore trop nombreux pour que ça change… »

Le rêve d’un pays québécois, l’environnement, l’emploi, les stratégies internes de parti politique, le charisme des candidats, les vieux rêves d’hommes au crépuscule de leur existence et une vision nuancée de l’amour sont également des sujets abordés avec lucidité, acuité, originalité et sensibilité dans cette création québécoise.

En plus de miser sur un texte à la fois profond, rythmé, confrontant et très divertissant, La traversée de la mer intérieure peut compter sur un quatuor d’acteurs inspirés. Marc Legault joue un vieux philosophe aussi brillant que perdu, mais toujours émouvant. Pauline Martin et Pierre-François Legendre sont tous les deux investis, vifs, drôles et fort complices avec Michel Dumont, qui mène le bal. 

Capable d’interpréter un Rosaire Bouchard fort et vulnérable, torve et bourré d’humanité, l’acteur possède une telle présence qu’on voterait pour lui s’il se présentait sous n’importe quelle bannière politique, tant il dégage une énergie inspirante, puissante et réconfortante. 

Du très, très beau théâtre. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin 
Mon roman, « À CAUSE DES GARÇONS » est en librairies partout au Québec depuis le 25 septembre : http://editionsdruide.com/livres/nouveautes/a-cause-des-garcons/

LA TRAVERSÉE DE LA MER INTÉRIEURE 
30 octobre au 7 décembre 2013 - Duceppe
http://duceppe.com/piece/la-traversee-de-la-mer-interieure

*Crédit photo : François Brunelle

vendredi 25 octobre 2013

« Les cendres bleues » à la salle J-C Germain : le génie du premier amour (CRITIQUE)


L’un avait six ans et demi, l’autre en avait vingt et des poussières. Leur histoire est à la base de la pièce « Les cendres bleues », un récit poétique d’une beauté foudroyante, qui est présenté à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. 

On pourrait y lire une histoire de pédophilie, y déceler les restants d’un amour sale, y voir le début d’une relation condamnée, mais la virtuosité de Jean-Paul Daoust nous laisse d’abord entrevoir un objet de pureté. Une incartade de la vie où l’innocence de l’enfance rencontre le désir de l’adulte. De brefs instants où les caresses ne sont pas plus douloureuses que les baisers ne sont volés ni violents. Un amour qui nous semble consentant, aussi consentant puisse-t-il être lorsqu’il implique un enfant aveuglé par la marque d’affection, le regard d’intérêt et l’initiation aux plaisirs charnels.

Le premier tiers de cet objet théâtral nous laisse le temps de goûter au talent de Jean-Paul Daoust, à sa maîtrise des mots, des consonances, du rythme, des images et des métaphores. On prend plaisir à le suivre dans cette histoire où la grandeur des premiers sentiments est décortiquée avec la précision d’un chirurgien des émotions. 

La suite du spectacle plonge les spectateurs dans une ambiguïté davantage marquée face à ces actes pédophiles. Non seulement le texte évoque-t-il les tribulations entre le garçon et l’homme avec une mise en perspective un peu moins sereine, mais les effets du casting et de la mise en scène de Philippe Cyr viennent accentuer le malaise que l’on peut ressentir lorsqu’il est question de ces gestes interdits.

L’écart d’âge et de raison qui sépare les deux « amoureux » nous frappe en plein visage grâce à des détails : les deux plus jeunes acteurs (Sébastien David et Jonathan Morier) ont des voix plus graves, synonyme de « maturité » vocale, alors que le plus vieux (Jean  Turcotte) a une voix plus aigüe que les deux autres, dont plus « enfantine ». Créant des contradictions étranges tout au long de la pièce, ces oppositions prennent encore plus d’ampleur quand on constate que certains bouts du récit évoquant une perception plus dramatique des événements sont captés au vol par Jean Turcotte, alors que Morier et David nous racontent davantage l’effervescence des débuts et des premiers émois. L’effet est tout aussi dérangeant lorsque les trois acteurs livrent certaines portions de textes avec des niveaux d’émotions différents, alors qu’ils devraient se laisser porter par un même élan. Plus le malaise s’installe, plus les mots de Daoust nous hypnotisent et nous ramènent dans un tourbillon de langueurs.

Au final, on quitte la salle avec le désir infini de lire l’œuvre entière du poète et l’impression que le texte aurait gagné à être davantage adapté pour la forme théâtrale, avec des rôles mieux définis et des dialogues plus « officiellement » établis.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Les cendres bleues – 22 octobre au 9 novembre 2013
Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/cendres

*Crédits photos : Julie Artacho

vendredi 11 octobre 2013

« La belle au bois dormant » des Grands Ballets : un conte de fées désenchanté… (CRITIQUE)


En adaptant « La belle au bois dormant » en version tragico-trash-burlesque, le chorégraphe Mats Ek a le mérite de dépoussiérer un classique et d’attirer un jeune public, sans délaisser les habitués du ballet traditionnel. Toutefois, certaines avenues prises pour raconter l’histoire sont à ce point déplacées et incompréhensibles qu’elles plombent un spectacle qui aurait pu être sublime. 

Dans cette version présentée au Théâtre Maisonneuve du 10 au 22 octobre 2013, les spectateurs ont souvent droit à des passages chorégraphiques dotés d’une symbolique extrêmement forte et précise. Le flirt des parents de la princesse Aurore, leur complicité grandissante, l’acte de procréation, l’accouchement digne d’un film de science-fiction sous les yeux des fées Émeraude, Or, Argent et Rubis, ainsi que leur sérénité à toute épreuve, 16 ans plus tard, lorsque leur adolescente joue les rebelles. 

Refusant de participer à un pique-nique familial, la jeune fille s’enfuit en voiture et se fait courtiser par différents hommes très typés. Dans cette fable sur les choix auxquels nous faisons face dans la vie, la princesse se tourne finalement vers la fée Carabosse, ici représentée par un trafiquant de drogue, qui la plonge dans l’univers de l’héroïne, faisant du légendaire fuseau une seringue. Les danseurs représentent les effets de la drogue avec une force d'évocation envoûtante et percutante. Bien que la première partie du spectacle ne contienne pas autant d’éclats que la deuxième, on y remarque la présence fort appréciée de cette chose que l’on appelle la cohérence. 

***Les prochaines lignes révèlent un simili punch de l’adaptation***

L’œuvre de Mats Ek bascule complètement lorsqu’un danseur caché parmi les spectateurs se lève dans la salle, rouge de colère, ne comprenant pas ce qui se déroule sur scène et n’acceptant pas de voir la princesse s’enfoncer dans un « sommeil » hallucinogène, sans que ses parents ou ses fées marraines n’interviennent. Ne possédant qu’une seule nuance dans son jeu, le danseur-acteur-spectateur interpelle autant les personnages que les musiciens dans la fosse et les spectateurs dans la salle. 

Réagissant à ses plaintes, les fées-pierres-précieuses lui présentent quelques pas de danse qui tranchent complètement avec l’histoire qui nous était racontée jusque-là. La situation empire lorsqu’un cuisinier vient faire un numéro pour nous enseigner comment trancher un (vrai) poisson. Même si le cuistot est interprété par un danseur-acteur, Jean-Sébastien Couture, qui sait jouer, qui possède le sens du timing et qui sait composer avec les réactions du public, le passage n’apporte strictement rien à l’histoire, sinon quelques moments de divertissement, de dégoût et d’incompréhension. 

Les chorégraphies de groupe, bien que trop peu nombreuses, sont visuellement saisissantes. La majorité des danseurs des Grands Ballets sont à la fois impressionnants techniquement et crédibles dans leur interprétation. La musique de Tchaïkovski est superbement intégrée à l’histoire résolument moderne qui nous est racontée. L’idée de revisiter un classique en s’accordant une liberté totale de création est tout à fait louable. 

Mais au final, on déchante. Complètement. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

mercredi 18 septembre 2013

« L’Ouest solitaire » au Prospero : les dérives de la haine fraternelle (CRITIQUE)


Alors que les fidèles de La Licorne sont habitués depuis des années aux découvertes théâtrales signées par de brillants auteurs écossais et irlandais, les amateurs du Prospero peuvent également faire de même en allant voir une œuvre du dramaturge irlandais Martin McDonagh. Avec juste ce qu’il faut de poésie sale, de vérité brute, de violence psychologique et d’absurdité, « L’Ouest solitaire » décape et surprend. 

Merveilleusement bien traduit par Fanny Britt, le texte de MacDonagh plonge les amateurs de théâtre dans un bled perdu : un village considéré comme la capitale mondiale du meurtre, où sévissent entre autres un curé désemparé vivant au moins une dizaine de crises de foi par semaine, une jeune fille qui alterne entre l’ironie et la mélancolie pour se construire une identité, et deux frères qui ne cessent de se faire souffrir.

Sous le sceau de l’absurdité, de l’humour noir, du sarcasme bien entraîné et de réplique assassine, le duo de frangins démontre sans retenue jusqu’où peut mener la haine fraternelle. Coups pendables, vols, mensonges, insultes, batailles, rien n’est trop violent ni trop méchant pour ces deux êtres brutalement humains. Malgré l’énormité de leur situation et même s’ils vivent au creux du détour du trou du cul du bout du monde, ces deux hommes ressemblent à bien des frères et des sœurs qui n’ont que faire du respect et de la bonne entente. 

Même si la salle intime du Prospero est à déconseiller à toute personne un tant soit peu claustrophobe et qu’elle provoque des échos désagréables lorsque les comédiens crient, le lieu confère à l’histoire une proximité non négligeable. Bien malin celui qui restera indifférent à ces frères qui se haïssent même en dormant, à cette jeune fille désabusée et à ce prêtre blasé. 

Malheureusement, plusieurs répliques se perdent au vol en raison d’une diction relâchée par moment et d’une tendance à bouger meubles et objets avec fracas pendant des portions de dialogues. Le jeu inégal de Frédéric-Antoine Guimond n’arrive pas plus à nous émouvoir, tant les émotions qu’il insuffle à son curé semblent forcées. Malgré tout, la distribution demeure la force du spectacle. D’une vérité aussi enlevante que dérangeante, Marc-André Thibault, Lucien Bergeron et Marie-Ève Milot offrent de solides prestations. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre Prospero

17 septembre au 5 octobre 2013 

*Crédit photo : Jean-François Noël


samedi 14 septembre 2013

PLOMB à l’Agora de la danse : la fulgurance de l’émotion (CRITIQUE)


Si le travail de Virginie Brunelle a parfois eu des airs de ressemblance avec celui de Dave St-Pierre à ses débuts, force est d’admettre que la signature de la chorégraphe est aujourd’hui personnelle et presque aussi puissante. PLOMB est une habile démonstration de son talent et de sa sensibilité.

Présentée à l’Agora de la danse jusqu’au 21 septembre, sa nouvelle création met en oppositions les différents pôles d’une relation, qu’elle soit amoureuse, amicale ou charnelle. D’abord, les débuts euphoriques, extatiques et grandiloquents, ces débuts où les sensations sont plus fortes, les mouvements plus amples et les sourires plus ravageurs. Une période dansée sur une musique pimpante et swinguante datant d’une époque où la nostalgie embellit le beau pour mieux effacer le laid. 

Après l’effervescence des débuts vient inévitablement la descente abrupte vers la réalité, ce moment où le corps n’est pas tout à fait revenu sur terre, mais où la tête n’est plus tout à fait dans les nuages. Une période d’entre-deux suivie de retrouvailles physiques, incontournables et incontrôlables. Un corps à corps aussi nécessaire que dangereux, une fusion toute-puissante qui fera mal et qui causera une série de petites morts.  

L’œuvre de Brunelle aborde aussi la séduction, l’évaluation des candidats, l’espoir d’être considéré, l’envie de provoquer la situation, les amis qui tentent de prévenir le choc, la femme qui s’approche et qui jauge, avant de subir la fureur du mouvement de l’un et de goûter à la puissance rassurante de l’autre. 

Vient alors ce moment où l’on retombe, cet instant où l’on donne une autre chance à la vie et à l’amour, cette période où l’on recrée les mêmes mouvements, où l’on confronte les mêmes peurs, où l’on trébuche sur les mêmes obstacles, obligés de nous relever et de retomber sans arrêt, jusqu’à ce que quelque chose se passe, jusqu’à ce qu’un point de non-retour soit atteint, que les choses changent ou qu’elles ne veuillent plus jamais espérer d’exister. 

Tout au long du spectacle, de nombreux tableaux imaginés par Virginie Brunelle sont inspirés, émouvants, captivants et construits sur des images claires et puissantes. Certains duos éblouissent les spectateurs avec un mélange de force brute et de vulnérabilité, de confrontation et de laisser-aller, de pouvoir et de protection. La jeune femme possède un langage chorégraphique et théâtral qui force l’admiration. 

Malheureusement, les quelques dialogues viennent plomber le rythme et l’émotion habilement mis en place précédemment. Ne maîtrisant pas suffisamment les fondements de la projection, de la diction et de la conscience de leur voix dans leur corps et dans l’espace, les quelques danseurs à qui l’on demande de jouer les acteurs ne passent pas le test de la transmission des émotions. 

Il est également décevant de constater à quel point les danseurs de sexe masculin sont sous-utilisés, comme c’est le cas si souvent avec plusieurs chorégraphes. Servant trop souvent de soutien (ou de faire-valoir) aux danseuses, en les soulevant, en les faisant tourner ou en provocant des réactions physiques vachement intéressantes dans leurs corps à elles, les messieurs engagés dans PLOMB n’ont pas une partition à la hauteur de leur talent. 

Au final, on retient une fulgurance dans l’émotion, une lecture relationnelle habile et touchante, mais certains procédés qui méritent encore recherche et raffinement.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

vendredi 13 septembre 2013

« La Vénus au vison » chez Duceppe : la surprise de la rentrée théâtrale ! (CRITIQUE)


Dieu qu’ils auront tort, ceux qui oseront se passer de « La Vénus au vison », parce que le titre de la pièce présentée chez Duceppe sonne comme le nom d’un film cheap des années 70. Non seulement le texte de l’Américain David Ives est-il une véritable surprise d’intelligence et d’humour, mais il est joué par des acteurs qui nous offrent des interprétations de très haut calibre.  

Essayer de résumer La Vénus au vison peut s’avérer aussi simple que complexe, tant les couches de cette histoire sont multiples. Heureusement pour nous, le metteur en scène Michel Poirier et ses deux interprètes, Hélène Bourgeois-Leclerc et Patrice Robitaille, ont tout fait pour en tirer une œuvre d’une clarté saisissante. 

Dans la pièce, Thomas, auteur et metteur en scène ayant écrit une adaptation du roman de Leopold Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure, recherche désespérément une actrice afin de jouer Vanda, une jeune femme du 19e siècle à la fois féminine, sexy, profonde et puissante. Un amalgame qui est, selon lui, impossible à retrouver chez les actrices modernes dont la maturité serait aussi avancée que celle d’une fillette de 6 ans. À bout de ressources, épuisé d’avoir auditionné plus de trente interprètes de suite, il recevra finalement la visite d’une retardataire, elle aussi prénommée Vanda, qui est prête à tout pour obtenir le rôle. 

D’abord peu concluante, leur rencontre se poursuivra sur une enfilade de situations et de réflexions extrêmement lucides, riches et pertinentes sur la séduction, le pouvoir, l’amour, le couple et les rapports de force entre hommes et femmes. En interprétant des extraits de la pièce écrite par Thomas, en s’interrompant pour se questionner et opposer leurs points de vue, et en jouant au même jeu que les personnages de la pièce, l’auteur et l’actrice inverseront les pôles du pouvoir à chaque instant. 

Robitaille et Bourgeois-Leclerc sont ici en parfaite maîtrise de la situation, passant du langage québécois familier au français normatif avec grande dextérité, en plus de maintenir une cohérence infaillible dans leurs dialogues et leurs comportements. 

Absente du théâtre depuis des années, Hélène Bourgeois-Leclerc semble pourtant y avoir passé toute sa vie. Spontanée, un brin malengueulée, ratoureuse, femme fatale et follement déjantée lorsqu’elle interprète Vanda l’actrice, elle est ensuite suave et noble quand elle joue Vanda le personnage, en plus être impériale, mangeuse d’hommes et toute puissante en se glissant dans la peau de Vénus. Les spectateurs ne se sont d’ailleurs pas gênés pour l’applaudir après certaines répliques, spécialement lorsqu’elle changeait brusquement et volontairement de niveau de langage, avec un timing parfait. 

À ses côtés, Patrice Robitaille n’est pas en reste. Tout en nuances, trouvant le moyen de tirer son épingle du jeu en donnant la réplique à une actrice qui brûle les planches, Robitaille joue un homme intellectuel qui cache son insatisfaction face à la vie derrière un voile de fausse confiance et de prétention, à la fois dominé et dominant, fort et vulnérable, profondément mâle et un brin féminin par moment. Un bijou d’interprétation.

La Vénus au vison est un véritable coup de cœur.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

La Vénus au Vison – Duceppe
11 septembre au 19 octobre 2013

*Crédit photo : François Brunelle



mardi 10 septembre 2013

« Billy » au Théâtre La Licorne : quand les non-dits finissent par tuer (CRITIQUE)


Ce n’est pas pour rien que « Billy (les jours du hurlement) » a valu à Fabien Cloutier le Prix Gratien-Gélinas en 2011. Après avoir séduit le public avec Scotstown et Cranbourne, l’auteur revient à la charge avec un texte dangereusement brillant, écrit dans une langue acérée et sincère qui fait plus d’une victime. 

La maman d’Alice anticipe le moment où elle dira sa façon de penser aux parents de Billy, convaincue d’avoir affaire à un homme et une femme qui négligent leur garçon, trop occupés qu’ils sont à attendre leur chèque de B.S. et à s’acheter des beignes graisseux, pendant que leur petit attend, affamé, dans la voiture, les fenêtres fermées. 

De son côté, le père de Billy s’étouffe avec sa rage en imaginant ce qu’il dira à Martine, l’éducatrice en garderie de Billy et d’Alice, qui a pointé du doigt son petit quand est venu le temps de trouver un coupable à l’épidémie de poux. Outré que son enfant ait été la cible des accusations, alors que sa compagne vérifie la tête du petit tous les matins pour éviter de tels problèmes, le papa se sait victime de préjugés et n’entend pas laisser son garçon être la risée des amis de la garderie, ni de leurs parents. 

Finalement, une employée de commission scolaire consacre le plus clair de son temps à écouter la radio, à juger les envies de ses collègues et à attendre un foutu babillard qu’elle a demandé il y a des mois. Un babillard que ne peut installer le préposé à l’installation et à l’entretien des outils d’affichage, ci-nommé le papa de Billy, tant que le système n’aura pas accepté la demande de la vieille radoteuse. 

Champions du chialage, maîtres de l’inaction, fiers partisans des préjugés, apôtres de la non-communication, les trois personnages sont tellement peu enclins à ouvrir leur esprit et partager leurs points de vue qu’ils risquent d’en devenir malades. 

Au rythme où s’enchaînent les coups de gueule et les déclarations-chocs, avec un humour et un sens de la répartie fabuleux, les spectateurs expérimentent une série de réactions : le sourire complice, l’éclat de rire libérateur, le front plissé plein de jugements, la honte d’avoir entendu ce qu’ils ont toujours pensé sans oser l’exprimer. Bref, ils comprennent que sans être des copies conformes des personnages qui s’époumonent sur scène chacun dans leur coin, ils ne sont ni mieux, ni pire que les membres du trio. 

Dans une structure où les récriminations des trois personnages se chevauchent à un rythme infernal, le metteur en scène Sylvain Bélanger dirige ses acteurs de main de maître. À la fois touchants et forts en gueule, attachants et repoussants, profondément dérangeants et parfaitement représentatifs de notre société, les personnages interprétés avec justesse par Guillaume Cyr, Louise Bombardier et Catherine Larochelle risquent de s’imprégner dans notre imaginaire pendant longtemps. 

Une fois encore, Fabien Cloutier nous offre un portrait social lucide, drôle, émouvant, confrontant et explosif. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Billy (les jours du hurlement)
Théâtre La Licorne – 9 au 27 septembre
Théâtre Périscope – 15 octobre au 2 novembre

samedi 7 septembre 2013

« L’Assassinat du président » : l’équivalent d’un BYE BYE du futur (CRITIQUE)


Jouissive, libératrice et follement brillante, la pièce « L’assassinat du président » est un condensé d’absurdité, de critique sociale et d’autodérision qui offre aux spectateurs l’exutoire parfait avant de replonger dans un automne de querelles idéologiques et de vieilles magouilles mises à jour. 

Imaginé par Guillaume Tremblay et Olivier Morin, qui nous avaient donné l’incomparable Clotaire Rapaille, l’opéra rock, L’assassinat du président transporte les spectateurs dans le Québec de 2022, alors que le gouvernement tient un référendum annuel pour éviter la chicane, convaincu que les camps du NON et du OUI ne feront jamais le poids face à l’écrasante majorité du PEUT-ÊTRE, portée par le caquiste François Legault. Après des années d’exil en Suisse, Gilles Duceppe revient en territoire québécois pour mener le pays à l’indépendance, inspiré par les paroles de son défunt père Jean Duceppe, secondé par le hip-hop franco-fier de Biz des Loco Locass et soutenu par les cours de diction de Serge Postigo. À son retour, l’ex-chef du Bloc québécois découvre une province où la culture se résume littéralement à une poignée de « comédies musicales de marde », se fait talonner par Pauline Marois qui tente de l’avertir des menaces d’attaque à la souffleuse qui planent sur lui et s’oppose à la vacuité du premier ministre canadien, Stéphane Gendron. 

Les éclats de rire défilent, les instants de surprise se succèdent et les moments de réflexion s’incrustent un peu partout, laissant entrevoir un texte où l’intelligence et le sens du divertissement créent un rythme de croisière magistral. L’assassinat du président est un merveilleux exercice de défoulement et de rigolade qui n’épargne personne : les partis politiques reçoivent tous une dizaine de claques derrière la tête, la plupart des théâtres montréalais se font maltraiter et les goûts musicaux des Québécois en prennent pour leur rhume. 

Franchement plus incisifs que les auteurs des « Revues et corrigées » présentées au Rideau-Vert depuis des années, Tremblay et Morin possèdent un humour et un sens critique qui feraient d’eux d’excellents candidats pour écrire de futures éditions du Bye Bye. Composant avec des moyens rachitiques, la production compense avec une débrouillardise pleine d’originalité et de candeur : des fruits broyés au mixeur symbolisent la mort d’un personnage, la partie poilue d’un ballet personnifie un chien d’une laideur légendaire et de nombreuses d’astuces de bruiteur nous font rigoler tout au long de la pièce.

Malgré quelques très brefs temps morts, L’Assassinat du président frôle le génie pendant les trois premiers quarts de la pièce. Au moment où les spectateurs ont le sentiment que la boucle a été bouclée et que les acteurs se tiennent devant eux pour recevoir des applaudissements nourris, une deuxième fin se met en branle. Inutile, n’ayant pratiquement rien de bon à offrir et poussant l’absurdité jusque-là parfaitement calibrée à franchir les limites de l’agréable, cette autre fin dresse un parallèle entre « Rise of the Planet of the Apes » et un désir d’émancipation et d’indépendance de la race canine. Acteurs et actrice reviennent sur scène « déguisés » en chiens, font des mauvais jeux de mots et essaient bien maladroitement de faire des liens entre la cause souverainiste, les réflexes de soumission des cabots et les défis de l’affranchissement et de la cohabitation des races. C’est lourd, c’est long et c’est ridicule.

Les spectateurs capables d’effacer ces vingt malheureuses minutes de leur mémoire auront la divine impression d’avoir vu de jeunes artistes aller au bout de leurs envies, libres de créer comme bon leur semble et d’imaginer une pièce aussi décomplexée que pourrait l’être le Québec souverain du futur. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin 

Crédit photo : Toma Iczkovits

L’assassinat du président – 3 au 21 septembre
Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/assassinat

samedi 18 mai 2013

Critique de « Rêve » des Grands Ballets canadiens de Montréal


Exactement deux ans après avoir renversé le public montréalais avec sa chorégraphie dans Searching for home, Stephan Thoss revient à la charge en plongeant les danseurs des Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) dans l’univers onirique du « Rêve ». 

Dès les premiers instants du spectacle, un agréable constat s’impose : il fait bon de retrouver les danseurs de la troupe montréalaise. Après avoir flirté avec deux spectacles aux directions artistiques mémorables, mais aux niveaux techniques qui laissaient à désirer, Love Lies Bleeding de l’Alberta Ballet et La Lanterne rouge du Ballet national de Chine, le public montréalais a pu remarquer à quel point les GBCM sont d’un niveau supérieur. Non seulement font-ils preuve d’un synchronisme presque parfait lorsque la situation l’impose, mais ils sont également capables de rendre une chorégraphie fichtrement plus relevée avec un mélange de grâce, d’incarnation et de splendeur. 

Cette fois, les spectateurs sont invités dans un monde où rêves et cauchemars se côtoient, sans réelle trame narrative ou semblant de fil conducteur. Dans cette nouvelle création de Stephan Thoss, l’inconnu est roi, le concret cède sa place au flou, les frontières de l’imaginaire sont vivement rabattues au sol, l’inintelligible prend le dessus et l’œil du spectateur est témoin d’une succession de moments sublimes. S’inspirant à de nombreuses reprises du peintre surréaliste René Magritte (la pomme verte, le chapeau melon et tant d’autres symboles), la chorégraphie évoque à merveille l’une des citations célèbres de l’artiste belge : « Si le rêve est une traduction de la vie éveillée, la vie éveillée est également une traduction du rêve ». 

La musique vient magnifier la majorité des tableaux du spectacle. Tantôt angoissante et envoûtante à la manière d’un film de James Bond, tantôt doucereuse et langoureuse à la façon des plus belles histoires d’amour, la trame sonore de Rêve n’hésite pas à sombrer dans l’incongru et le malaise volontaire. La sélection des morceaux effectuée par Thoss et Daniel Lett permet d’ailleurs à l’ensemble de l’œuvre de nous surprendre et de regagner notre attention. L’exemple parfait étant le moment où la chanson « It’s a man world » surgit de nulle part, entourée de pièces plutôt classiques, agissant tel un défibrillateur sur un spectacle plombé à plusieurs reprises par une série de longueurs. 

Outre ce bémol majeur,  « Rêve » a tout pour récolter l’enthousiasme du public. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

samedi 4 mai 2013

King Dave : le roi de la déchéance (CRITIQUE)


Si vous n’avez jamais vu King Dave, courrez-y. Si vous l’avez vu il y a quelques années, retournez-y. Si vous connaissez des gens qui ont le théâtre en horreur, payez-leur un billet et faites leur comprendre à quel point la scène peut être un lieu aussi divertissant que confrontant.

Récompensé par les Masque du Texte original et de l’Interprétation Masculine lors de sa création au milieu des années 2000 et remonté en 2006 au Théâtre La Licorne, King Dave vient finir sa route dans la salle intime du Théâtre Prospero. Devant quelques dizaines de spectateurs à la fois, entouré d’un décor d’une simplicité désarmante, Alexandre Goyette enflamme la scène pendant 70 minutes. 

Mi-homme, mi-adolescent, son personnage est le parfait symbole de la déchéance à petit feu. Ne sachant pas quoi faire de sa vie, se faisant battre par plus fort et plus nombreux que lui, et croisant la route d’une nouvelle rupture amoureuse, le jeune Montréalais tentera de reprendre les rênes de sa vie en obtenant vengeance, convaincu de sa nouvelle invincibilité. Malheureusement pour lui, chaque pas est l’occasion de s’enfoncer davantage, de comprendre qu’il ne s’en va nulle part et que ce qu’il croyait être le bout de la m**** n’est en réalité que le début d’un dépotoir existentiel. 

Décrivant parfaitement bien la dérive d’un jeune sans avenir, la réalité brutale des gangs de rue et les réflexes de protection que tout urbain développe à différents degrés pour se protéger contre les mâchoires de la grande ville, le texte d’Alexandre Goyette est d’une intelligence et d’une lucidité incomparables. Sa langue est rythmée, hachurée, saccadée, bouillante de vérité et merveilleusement sale. 

Seul sur scène, l’acteur enflamme les planches en rendant parfaitement bien chacun des personnages de son histoire. Doté d’une énergie folle, d’un charisme puissant et d’un incroyable sens du timing, Goyette happe chacun des spectateurs du début à la fin du spectacle. 

Du grand théâtre. Pour tous. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

King Dave
Salle intime du Théâtre Prospero
30 avril au 18 mai 2013



vendredi 26 avril 2013

Critique de la pièce « Survivre » : le petit bijou du Quat’Sous


En présentant « Survivre », de l’auteur Olivier Kemeid, le Théâtre de Quat’Sous offre l’une des meilleures pièces de l’année. Rien de moins. 

Fait inusité, les spectateurs ont eu droit à une « première partie » offerte par l’auteur et comédien Simon Lacroix, qui s’est inspiré du décor de « Survivre » pour écrire l’équivalent d’un court métrage théâtral. En quelques minutes seulement, son histoire de concierges et d’espions nous captive et nous met dans un état d’ouverture et de bonne humeur qui sert merveilleusement bien la suite des choses.

Parmi les qualités innombrables de « Survivre », notons d’abord l’extrême efficacité du décor : un bureau beige, terne, rigide et peu accueillant, à l’image de chacun des personnages, qui sont habillés de couleurs parfaitement coordonnées à celles de leurs chaises de travail. Planqués dans un demi-sous-sol, six employés éteints, mornes et frustrés, tentent de survivre au vide de leur existence, qui n’a rien à envier aux animaux qui finissent à l’abattoir. 

Leur quotidien n’est que tristesse et répétition. Jusqu’au jour où un étrange personnage atterrit dans leur univers, suscitant les passions, dévoilant les envies, provoquant les peurs enfouies et libérant tout ce qui se cache sous cette couche de beige, de bleu pastel et de vert mal de cœur. Symbolisant avec une justesse troublante l’aliénation du travail, l’absence de passion, la peur de soi et la peur de l’autre, le texte d’Olivier Kemeid est brillant. 

Fidèle à son habitude, le dramaturge a ressenti le besoin d’insérer des élans poético-oniriques qui cassent le rythme, alors que ses idées et ses mots « simples » goûtent déjà suffisamment bon pour vivre par eux-mêmes. Heureusement, ces incursions sont brèves et peu nombreuses.

Impossible de ne pas mentionner à quel point la matière première imaginée par Kemeid est magnifiée par le travail d’Éric Jean. En chorégraphiant avec finesse les journées de travail punch in, punch out, en utilisant de façon fort ingénieuse les décors et les meubles d’où surgit constamment l’un des personnages et en dirigeant ses acteurs avec précision, rythme et homogénéité, le metteur en scène fait preuve d’un grand talent. 

Totalement investis dans l’aventure, les acteurs André Robitaille, Renaud Lacelle-Bourdon, Sylvie Drapeau, Anne Casabonne, Laurie Gagné, Martine-Marie Lalande et Olivia Palacci composent une variété de personnages touchants, hilarants et fascinants.  

« Survivre » est une des belles surprises du printemps. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin. 


Crédit photo : Yanick Macdonald

dimanche 14 avril 2013

Le Diable Rouge : ode à la manipulation politique et sentimentale (CRITIQUE)


Jusqu’où un monarque et ses ministres peuvent-ils aller pour gouverner ? Les aléas de l’amour ont-ils leur place dans les décisions d’un roi ? L’histoire du monde a-t-elle été uniquement dictée par de grandes entreprises de manipulations et une série de mariages de raison ? Voilà quelques-unes des réflexions qui risquent de se pointer dans la tête des spectateurs en assistant aux jeux de coulisses du Diable rouge, au Théâtre Jean Duceppe. 

Quelques années après avoir incarné Henri II, le roi d’Angleterre dans Le Lion en hiver, Michel Dumont s’attaque à un autre grand personnage de l’histoire, le Cardinal Mazarin. Cet homme à qui Anne d’Autriche a confié le mandat de mettre fin à la guerre entre la France et l’Espagne en arrangeant un mariage entre le jeune Louis XIV, 21 ans, et l’infante d’Espagne, même si le futur roi Soleil est en amour avec Marie Mancini, la nièce du Cardinal. Rusé, fourbe et débordant d’idées torves pour convaincre les uns et flouer les autres, Mazarin doit également faire de Louis XIV un roi digne de ce nom : craint de ses adversaires politiques, priorisant la raison aux émotions, capable de trahir ses proches au profit de l’avenir de son pays et n’hésitant pas à s’entourer de quelques crapules pour faire avancer la nation. Ironique de voir les ressemblances entre la royauté de l'époque et la réalité politique d’aujourd’hui…

La pièce du dramaturge français Antoine Rault se concentre sur les sentiments et les tracas quotidiens des tout-puissants. On y découvre Mazarin mal en point, crachant et puant au réveil. Anne d’Autriche entichée de son Premier ministre. Louis XIV et Marie Mancini qui courent dans les jardins, épris d’une passion qui ne fait pas l’affaire de leurs aïeuls. Des scènes de tractations politiques, de chantage, de rébellion et de prises de bec. Heureusement pour les spectateurs, les acteurs ont le chic de rendre ce charabia parfaitement clair, en intégrant de façon tout à fait naturelle les conversations soutenues que se livrent rois et reines. 

Fidèle à son habitude, Michel Dumont domine la distribution en interprétant un Mazarin tout en nuances. D’abord confiant, puissant, séducteur, manipulateur, et prenant un plaisir manifeste à imaginer de nouvelles magouilles, son personnage chancellera peu à peu, faiblira sous les effets de la maladie, verra sa voix de stentor s’emplir d’une toux rocailleuse, et finira par n’avoir qu’un seul souci : la trace qu’il aura laissée dans l’Histoire après sa mort. 

De son côté, Monique Miller offre une prestation tout aussi équilibrée en jouant une Anne d’Autriche dominante, déterminée et fragilisée par quelques instants amoureux, bien qu’elle ait depuis longtemps compris que l’amour a bien peu de place dans la gestion d’un royaume. 


Magalie Lépine-Blondeau, qui fait présentement ses premiers pas sur la scène du Théâtre Jean Duceppe, propose une Marie Mancini pleine de répartie, de vivacité, de convictions, de passions et d’ambitions. Après avoir été l’incarnation même de la volupté dans Christine la Reine-Garçon au TNM, de la candeur frivole dans la télésérie Tu m’aimes-tu et d’un mélange d’insécurité et de pragmatisme dans 19-2, l’actrice continue de nous faire voir l’étendue de son registre avec un talent fascinant. 

En début de pièce, François Xavier-Dufour incarne un Louix XIV plus proche du jeune garçon que du jeune homme de 21 ans, tant dans sa démarche que dans ses fluctuations vocales, mais il démontre ensuite tout le charisme et la rigidité nécessaire de l’homme d’État que le roi deviendra avec les années. 

Malgré la solidité de la distribution, l’intérêt manifeste de l’histoire, l’efficacité de la mise en scène, la grâce des costumes et des décors, un bémol s’impose : Le Diable Rouge manque d’étincelles. Les spectateurs restent captifs de la pièce sans le moindre problème, mais rares sont les moments de grandes émotions, d’éclats de rires francs ou de colère suprême. Bien que le côté verbeux franchouillard des dialogues puisse créer une distance entre le spectateur et ses émotions, le manque de punch dans l’écriture d’Antoine Rault explique probablement mieux pourquoi on sort de chez Duceppe avec l’impression d’avoir assisté à une pièce brillante, mais peu touchante. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

*Crédits photo : François Brunelle

samedi 13 avril 2013

« Yukonstyle » au Théâtre d’Aujourd’hui : la terre de tous les possibles (CRITIQUE)



À chacune de ses nouvelles créations, Sarah Berthiaume démontre qu’elle possède un talent inouï pour raconter les blessures de l’humanité avec sensibilité et subtilité. Avec Yukonstyle, la jeune auteure confirme sa place parmi les dramaturges dont on attendra désormais toutes les pièces avec impatience. 

Près d’un an et demi après avoir enflammé la salle Jean-Claude Germain avec sa vision lucide, brillante, drôle et touchante de Kandahar, Pompéi, Gagnonville et le Quartier Dix-30 de Brossard dans Villes Mortes, Berthiaume revient à la charge avec une histoire campée dans Whitehorse la sombre. Après 4 jours et 4 nuits dans un autobus Greyhound à traverser le Canada et quelques semaines à s’imprégner de l’immensité du territoire yukonais, l’auteure est revenue au Québec pour créer une courtepointe avec les personnages marquants qui ont croisé sa route.

De son imagination sont issus Yuko, la Japonaise de six pieds qui a tout plaqué pour déménager au Yukon, l’endroit où le taux d’immigration japonaise est le plus faible au monde ; Garin, son colocataire métis en crise identitaire, depuis la disparition de sa mère, une prostituée autochtone ; son père, Dad’s, noyé dans l’alcool et les souvenirs de celle qui a quitté Whitehorse avec son âme ; et Kate, une adolescente habillée selon le style des manga japonais, qui se meurt d’exister pour avoir enfin quelque chose à dire. Rongés par les souvenirs, les envies, les hallucinations et les mots qu’ils ne savent pas dire, les quatre personnages se rassembleront autour de leur solitude, réussissant à comprendre et compenser leurs carences respectives. 

En plus de raconter le quotidien avec des mots débordant de vérité, de candeur et de simplicité, Sarah Berthiaume trouve le moyen d’insérer de grands élans fantastico-poétiques inspirés par ce coin de pays larger than life, sans le moindre déséquilibre dans le rythme ou la cohérence de l’histoire. Jamais le langage plus soutenu ne semble trop appuyé et jamais les scènes réalistes ne semblent caricaturales. Dans Yukonstyle, tout est dosé avec finesse. 


L’histoire de la jeune auteure est portée par une distribution en tous points impeccable. Sophie Desmarais livre l’une des meilleures interprétations de personnage adolescent depuis des années, avec un bagou, une énergie, des réflexes et des intonations crédibles et divertissantes. Cynthia Wu-Maheux est tour à tour impériale, puissante, fragile, amoureuse et juste dans chacun de ses personnages. Vincent Fafard interprète avec un talent rare la force brute de son personnage, son côté renfrogné, sa mâlitude et sa vulnérabilité qui craque de partout. 

Au final, Yukonstyle est une histoire universelle de quête de soi, de solitude, d’affranchissement et d’esprit de communauté qu’on n’est pas sur le point d’oublier. 

Yukonstyle 
Théâtre d’Aujourd’hui
9 avril au 4 mai 2013

dimanche 24 février 2013

Les Muses Orphelines : une découverte théâtrale après tant d’années (CRITIQUE)


Après avoir été initié aux Muses Orphelines de Michel-Marc Bouchard en lecture (agréablement) imposée au secondaire, après avoir découvert l’adaptation cinématographique et avoir fait un travail comparatif entre les deux œuvres au cégep, voilà que j’ai enfin pu assister à une représentation de ce grand classique du théâtre québécois. Comme il fallait s’y attendre, je n’ai pas été déçu une seconde !

D’un côté, on retrouve Isabelle, une jeune femme de 27 ans souffrant d’un léger retard mental, mais possédant quelques kilomètres d’avance en frais de lucidité. De l’autre, il y a sa grande sœur Catherine, qui a joué à la mère de substitution, sa sœur Martine, qui est partie jouer au soldat à l’étranger, ainsi que Luc, qui a tenté de s’écrire une vie, à défaut de vivre la sienne. Près de vingt ans après le départ de leur mère, les quatre enfants souffrent chacun à leur façon. Isabelle s’accroche aux mots qu’elle ne comprend pas, depuis qu’on a rempli sa mémoire de mensonges et de demi-vérités. Catherine refuse d’affronter la réalité, préférant faire comme si la grande maison qu’elle habitait n’avait pas été le théâtre d’un adultère, d’une série de souffrances et de grands déchirements. Martine fait comme si les membres de sa famille n’avaient aucune importante pour elle, alors que leurs paroles ne cessent d’entrer en collision avec la fragilité qu’elle tente de camoufler. Et Luc préfère s’habiller comme sa mère et lui inventer une vie, plutôt que d’accepter qu’elle les a brutalement abandonnés à leur triste sort. Une fois réuni à la maison familiale, grâce aux manigances d’Isabelle, le clan des Tanguay n’aura d’autre choix que de faire face aux vomissures de son passé. 

Force est d’admettre que le texte de Michel-Marc Bouchard est d’une solidité sans nom. Personnel et universel, fort et vulnérable, follement réaliste et merveilleusement métaphorique, capable de nous interpeller, de nous confronter, de nous faire rire ou de nous faire pleurer, possédant un rythme et une cohésion indubitables, son œuvre fait partie des grandes.

Avec un tel joyau entre les mains, la metteure en scène Martine Beaulne a eu la brillante idée de se concentrer sur les mots du dramaturge en dirigeant ses acteurs avec un doigté, une précision et une homogénéité remarquables. Complices, solides, nuancés, investis, drôles et touchants, Macha Limonchik, Léane Labrèche-Dor, Nathalie Mallette et Maxime Denommée rendent fièrement hommage au quart de siècle des Muses Orphelines. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin



samedi 23 février 2013

« Furieux et désespérés » au Théâtre d’Aujourd’hui : aussi simpliste que prétentieuse (CRITIQUE)


Un an après avoir renversé le public avec la sublimissime « Moi, dans les ruines rouges du siècle », qui mariait avec humour et émotions la petite histoire de Sasha Samar à la grande histoire de l’Ukraine, Olivier Kemeid revient à la charge en se servant de sa propre vie pour écrire « Furieux et désespérés ». Malgré la pertinence évidente du propos, sa nouvelle pièce est aussi simpliste que prétentieuse. 

Lorsqu’il avait six ans, le père d’Olivier Kemeid a quitté l’Égypte avec sa famille pour s’installer au Canada. Près de 48 ans plus tard, l’auteur et metteur en scène est parti à la découverte de la terre de ses ancêtres en visitant une des cousines de son père. Accueilli par un chauffeur de taxi fort en gueule et une femme pour le moins étrange, le personnage inspiré du dramaturge rencontre ensuite une partie de sa famille, au moment où le pays vit les débuts du printemps arabe. Troublé par les revendications de la fille de sa cousine, déchiré par l’envie de rentrer au pays et celle de ne pas abandonner les siens, il sera mêlé à une situation qui le dépasse.

Le point de vue de Kemeid sur l’immigration et la révolution est d’une finesse inouïe. Grâce à son histoire, on comprend mieux les différents enjeux des Égyptiens, leurs vieilles blessures et les raisons qui poussent certains à rester sur leurs terres malgré les grands bouleversements du passé et du présent. On imagine le tiraillement de l’immigrant entre ses racines et le lieu où il a construit sa vie, entre cette famille qu’il aime et cette nouvelle existence qu’il chérit, entre les accusations d’être un lâche qui abandonne son peuple et les difficultés d’être constamment considéré comme un étranger dans sa terre d’accueil. En assistant à une représentation de « Furieux et désespérés », on ressent toute la conviction des Égyptiens à vouloir se soulever et se faire entendre. 

Malheureusement pour ses idées particulièrement sensibles et lucides, Kemeid n’a pas trouvé les bons outils pour les exprimer. Parmi les nombreux dialogues réalistes et quotidiens qu'il a écrits, l'auteur a intégré des envolées lyriques pompeuses afin d’appuyer tous les passages où il se veut plus sérieux. Non seulement la rupture de ton est-elle dommageable pour le rythme de la pièce, mais elle finit presque par ridiculiser des idées qui ne méritent pas un tel traitement. De plus, lorsque des scènes graves et remplies d’émotions sont présentées avec un peu plus de réalisme, on ne peut faire autrement que de constater à quel point la scénographie n’arrive pas à supporter leur élan. En érigeant des murs qu’on dirait composés de boîtes de carton, rappelant la façade d’un temple ou les blocs d’une pyramide, l’équipe de création a donné un enrobage simplet à l’action. Les éclairages trop peu nuancés n’aident pas non plus à donner de la crédibilité à l’histoire. 

Si la présence d’une motocyclette près du plafond se veut une référence à Che Guevera, qui est évoqué pendant une seconde et quart, l’idée s’avère inutile et  superflue. Notons également la réaction de l'un des personnages qui craint d’avoir tué un homme : il est troublé quelques minutes, avant de passer à autre chose comme si de rien n’était. C’est à n’y rien comprendre.

Marie-Thérèse Fortin règne sur la distribution avec panache et vulnérabilité, Denis Gravereaux et Johane Haberlin sont particulièrement beaux à voir aller, Maxim Gaudette a l’air d’un grand enfant perdu et trop peu dirigé, alors qu’Émilie Bibeau – généralement reconnue pour être juste et brillante – est agaçante avec sa voix haut perchée et des accents toniques franchement trop appuyés pour nous faire comprendre à quel point le drame de sa vie et de son pays est important.

Voilà une grande histoire qui s’est transformée en petite pièce. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre d’Aujourd’hui – 19 février au 16 mars 2013
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/furieux 

jeudi 21 février 2013

« La Lanterne rouge » du Ballet national de Chine : la tradition prend le dessus sur le classique (CRITIQUE)


Se produisant pour la première fois de son histoire au Canada, le Ballet national de Chine vient présenter au public montréalais l’adaptation du film « Épouses et concubines » du cinéaste Zhang Yimou, qui signe lui-même le livret, les éclairages et la mise en scène. Si la direction artistique de La Lanterne rouge est franchement sublime, les chorégraphies s’avèrent étonnamment décevantes. 

Au début des années 90, Épouses et concubines a remporté le Lion d’argent à la Mostra de Venise, en plus de récolter une nomination aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film étranger. Plus de 20 ans plus tard, Zhang Yimou revient à la charge avec son histoire de seigneur féodal qui allume la lanterne rouge de la femme avec qui il veut passer la nuit. Vient un jour où une nouvelle venue s’ajoute à son épouse et à sa première concubine : après avoir été forcée par le maître de la maison de le suivre dans la couchette, la jeune femme retrouve son amoureux de jeunesse et se fait surprendre par la première concubine. Se mélangent alors jalousie, trahison et tragédie. 

Les traditions de l’Empire du Milieu sont admirablement bien représentées par les magnifiques costumes colorés, la musique ensorcelante et les décors majestueux. Rarement a-t-on vu des ombres chinoises aussi bien utilisées qu’au moment où le seigneur impose sa loi à la jeune jouvencelle. En contrepartie, les éclairages sont très mal utilisés pendant le reste de la production, alors qu’un « follow spot » impose à nos yeux ce qu’ils doivent regarder, laissant dans l’ombre le reste du décor et des interprètes.

De plus, les spectateurs étaient en droit de s’attendre à des chorégraphies d’un niveau technique beaucoup plus relevé. Même si la légèreté gracieuse des danseurs chinois ferait pâlir d’envie bien des Occidentaux, le synchronisme de la troupe était déficient, la difficulté des mouvements n’avait rien d’épatant et l’originalité n’était pas particulièrement au rendez-vous. 

Force est d’admettre que l’histoire de Yimou est mieux servie par la liberté du cinéma. Néanmoins, le lyrisme de l’œuvre, la langueur de ses interprètes et la beauté de la scénographie valent à ce point le détour que l’envie de découvrir le pays de Mao s’est imprégnée dans notre imaginaire avec une force étonnante. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Wilfrid-Pelletier de Montréal
21 au 24 février 2013
http://www.grandsballets.com/fr/spectacle/la-lanterne-rouge