dimanche 14 avril 2013

Le Diable Rouge : ode à la manipulation politique et sentimentale (CRITIQUE)


Jusqu’où un monarque et ses ministres peuvent-ils aller pour gouverner ? Les aléas de l’amour ont-ils leur place dans les décisions d’un roi ? L’histoire du monde a-t-elle été uniquement dictée par de grandes entreprises de manipulations et une série de mariages de raison ? Voilà quelques-unes des réflexions qui risquent de se pointer dans la tête des spectateurs en assistant aux jeux de coulisses du Diable rouge, au Théâtre Jean Duceppe. 

Quelques années après avoir incarné Henri II, le roi d’Angleterre dans Le Lion en hiver, Michel Dumont s’attaque à un autre grand personnage de l’histoire, le Cardinal Mazarin. Cet homme à qui Anne d’Autriche a confié le mandat de mettre fin à la guerre entre la France et l’Espagne en arrangeant un mariage entre le jeune Louis XIV, 21 ans, et l’infante d’Espagne, même si le futur roi Soleil est en amour avec Marie Mancini, la nièce du Cardinal. Rusé, fourbe et débordant d’idées torves pour convaincre les uns et flouer les autres, Mazarin doit également faire de Louis XIV un roi digne de ce nom : craint de ses adversaires politiques, priorisant la raison aux émotions, capable de trahir ses proches au profit de l’avenir de son pays et n’hésitant pas à s’entourer de quelques crapules pour faire avancer la nation. Ironique de voir les ressemblances entre la royauté de l'époque et la réalité politique d’aujourd’hui…

La pièce du dramaturge français Antoine Rault se concentre sur les sentiments et les tracas quotidiens des tout-puissants. On y découvre Mazarin mal en point, crachant et puant au réveil. Anne d’Autriche entichée de son Premier ministre. Louis XIV et Marie Mancini qui courent dans les jardins, épris d’une passion qui ne fait pas l’affaire de leurs aïeuls. Des scènes de tractations politiques, de chantage, de rébellion et de prises de bec. Heureusement pour les spectateurs, les acteurs ont le chic de rendre ce charabia parfaitement clair, en intégrant de façon tout à fait naturelle les conversations soutenues que se livrent rois et reines. 

Fidèle à son habitude, Michel Dumont domine la distribution en interprétant un Mazarin tout en nuances. D’abord confiant, puissant, séducteur, manipulateur, et prenant un plaisir manifeste à imaginer de nouvelles magouilles, son personnage chancellera peu à peu, faiblira sous les effets de la maladie, verra sa voix de stentor s’emplir d’une toux rocailleuse, et finira par n’avoir qu’un seul souci : la trace qu’il aura laissée dans l’Histoire après sa mort. 

De son côté, Monique Miller offre une prestation tout aussi équilibrée en jouant une Anne d’Autriche dominante, déterminée et fragilisée par quelques instants amoureux, bien qu’elle ait depuis longtemps compris que l’amour a bien peu de place dans la gestion d’un royaume. 


Magalie Lépine-Blondeau, qui fait présentement ses premiers pas sur la scène du Théâtre Jean Duceppe, propose une Marie Mancini pleine de répartie, de vivacité, de convictions, de passions et d’ambitions. Après avoir été l’incarnation même de la volupté dans Christine la Reine-Garçon au TNM, de la candeur frivole dans la télésérie Tu m’aimes-tu et d’un mélange d’insécurité et de pragmatisme dans 19-2, l’actrice continue de nous faire voir l’étendue de son registre avec un talent fascinant. 

En début de pièce, François Xavier-Dufour incarne un Louix XIV plus proche du jeune garçon que du jeune homme de 21 ans, tant dans sa démarche que dans ses fluctuations vocales, mais il démontre ensuite tout le charisme et la rigidité nécessaire de l’homme d’État que le roi deviendra avec les années. 

Malgré la solidité de la distribution, l’intérêt manifeste de l’histoire, l’efficacité de la mise en scène, la grâce des costumes et des décors, un bémol s’impose : Le Diable Rouge manque d’étincelles. Les spectateurs restent captifs de la pièce sans le moindre problème, mais rares sont les moments de grandes émotions, d’éclats de rires francs ou de colère suprême. Bien que le côté verbeux franchouillard des dialogues puisse créer une distance entre le spectateur et ses émotions, le manque de punch dans l’écriture d’Antoine Rault explique probablement mieux pourquoi on sort de chez Duceppe avec l’impression d’avoir assisté à une pièce brillante, mais peu touchante. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

*Crédits photo : François Brunelle

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