samedi 18 mai 2013

Critique de « Rêve » des Grands Ballets canadiens de Montréal


Exactement deux ans après avoir renversé le public montréalais avec sa chorégraphie dans Searching for home, Stephan Thoss revient à la charge en plongeant les danseurs des Grands Ballets canadiens de Montréal (GBCM) dans l’univers onirique du « Rêve ». 

Dès les premiers instants du spectacle, un agréable constat s’impose : il fait bon de retrouver les danseurs de la troupe montréalaise. Après avoir flirté avec deux spectacles aux directions artistiques mémorables, mais aux niveaux techniques qui laissaient à désirer, Love Lies Bleeding de l’Alberta Ballet et La Lanterne rouge du Ballet national de Chine, le public montréalais a pu remarquer à quel point les GBCM sont d’un niveau supérieur. Non seulement font-ils preuve d’un synchronisme presque parfait lorsque la situation l’impose, mais ils sont également capables de rendre une chorégraphie fichtrement plus relevée avec un mélange de grâce, d’incarnation et de splendeur. 

Cette fois, les spectateurs sont invités dans un monde où rêves et cauchemars se côtoient, sans réelle trame narrative ou semblant de fil conducteur. Dans cette nouvelle création de Stephan Thoss, l’inconnu est roi, le concret cède sa place au flou, les frontières de l’imaginaire sont vivement rabattues au sol, l’inintelligible prend le dessus et l’œil du spectateur est témoin d’une succession de moments sublimes. S’inspirant à de nombreuses reprises du peintre surréaliste René Magritte (la pomme verte, le chapeau melon et tant d’autres symboles), la chorégraphie évoque à merveille l’une des citations célèbres de l’artiste belge : « Si le rêve est une traduction de la vie éveillée, la vie éveillée est également une traduction du rêve ». 

La musique vient magnifier la majorité des tableaux du spectacle. Tantôt angoissante et envoûtante à la manière d’un film de James Bond, tantôt doucereuse et langoureuse à la façon des plus belles histoires d’amour, la trame sonore de Rêve n’hésite pas à sombrer dans l’incongru et le malaise volontaire. La sélection des morceaux effectuée par Thoss et Daniel Lett permet d’ailleurs à l’ensemble de l’œuvre de nous surprendre et de regagner notre attention. L’exemple parfait étant le moment où la chanson « It’s a man world » surgit de nulle part, entourée de pièces plutôt classiques, agissant tel un défibrillateur sur un spectacle plombé à plusieurs reprises par une série de longueurs. 

Outre ce bémol majeur,  « Rêve » a tout pour récolter l’enthousiasme du public. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

samedi 4 mai 2013

King Dave : le roi de la déchéance (CRITIQUE)


Si vous n’avez jamais vu King Dave, courrez-y. Si vous l’avez vu il y a quelques années, retournez-y. Si vous connaissez des gens qui ont le théâtre en horreur, payez-leur un billet et faites leur comprendre à quel point la scène peut être un lieu aussi divertissant que confrontant.

Récompensé par les Masque du Texte original et de l’Interprétation Masculine lors de sa création au milieu des années 2000 et remonté en 2006 au Théâtre La Licorne, King Dave vient finir sa route dans la salle intime du Théâtre Prospero. Devant quelques dizaines de spectateurs à la fois, entouré d’un décor d’une simplicité désarmante, Alexandre Goyette enflamme la scène pendant 70 minutes. 

Mi-homme, mi-adolescent, son personnage est le parfait symbole de la déchéance à petit feu. Ne sachant pas quoi faire de sa vie, se faisant battre par plus fort et plus nombreux que lui, et croisant la route d’une nouvelle rupture amoureuse, le jeune Montréalais tentera de reprendre les rênes de sa vie en obtenant vengeance, convaincu de sa nouvelle invincibilité. Malheureusement pour lui, chaque pas est l’occasion de s’enfoncer davantage, de comprendre qu’il ne s’en va nulle part et que ce qu’il croyait être le bout de la m**** n’est en réalité que le début d’un dépotoir existentiel. 

Décrivant parfaitement bien la dérive d’un jeune sans avenir, la réalité brutale des gangs de rue et les réflexes de protection que tout urbain développe à différents degrés pour se protéger contre les mâchoires de la grande ville, le texte d’Alexandre Goyette est d’une intelligence et d’une lucidité incomparables. Sa langue est rythmée, hachurée, saccadée, bouillante de vérité et merveilleusement sale. 

Seul sur scène, l’acteur enflamme les planches en rendant parfaitement bien chacun des personnages de son histoire. Doté d’une énergie folle, d’un charisme puissant et d’un incroyable sens du timing, Goyette happe chacun des spectateurs du début à la fin du spectacle. 

Du grand théâtre. Pour tous. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

King Dave
Salle intime du Théâtre Prospero
30 avril au 18 mai 2013