mercredi 18 septembre 2013

« L’Ouest solitaire » au Prospero : les dérives de la haine fraternelle (CRITIQUE)


Alors que les fidèles de La Licorne sont habitués depuis des années aux découvertes théâtrales signées par de brillants auteurs écossais et irlandais, les amateurs du Prospero peuvent également faire de même en allant voir une œuvre du dramaturge irlandais Martin McDonagh. Avec juste ce qu’il faut de poésie sale, de vérité brute, de violence psychologique et d’absurdité, « L’Ouest solitaire » décape et surprend. 

Merveilleusement bien traduit par Fanny Britt, le texte de MacDonagh plonge les amateurs de théâtre dans un bled perdu : un village considéré comme la capitale mondiale du meurtre, où sévissent entre autres un curé désemparé vivant au moins une dizaine de crises de foi par semaine, une jeune fille qui alterne entre l’ironie et la mélancolie pour se construire une identité, et deux frères qui ne cessent de se faire souffrir.

Sous le sceau de l’absurdité, de l’humour noir, du sarcasme bien entraîné et de réplique assassine, le duo de frangins démontre sans retenue jusqu’où peut mener la haine fraternelle. Coups pendables, vols, mensonges, insultes, batailles, rien n’est trop violent ni trop méchant pour ces deux êtres brutalement humains. Malgré l’énormité de leur situation et même s’ils vivent au creux du détour du trou du cul du bout du monde, ces deux hommes ressemblent à bien des frères et des sœurs qui n’ont que faire du respect et de la bonne entente. 

Même si la salle intime du Prospero est à déconseiller à toute personne un tant soit peu claustrophobe et qu’elle provoque des échos désagréables lorsque les comédiens crient, le lieu confère à l’histoire une proximité non négligeable. Bien malin celui qui restera indifférent à ces frères qui se haïssent même en dormant, à cette jeune fille désabusée et à ce prêtre blasé. 

Malheureusement, plusieurs répliques se perdent au vol en raison d’une diction relâchée par moment et d’une tendance à bouger meubles et objets avec fracas pendant des portions de dialogues. Le jeu inégal de Frédéric-Antoine Guimond n’arrive pas plus à nous émouvoir, tant les émotions qu’il insuffle à son curé semblent forcées. Malgré tout, la distribution demeure la force du spectacle. D’une vérité aussi enlevante que dérangeante, Marc-André Thibault, Lucien Bergeron et Marie-Ève Milot offrent de solides prestations. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre Prospero

17 septembre au 5 octobre 2013 

*Crédit photo : Jean-François Noël


samedi 14 septembre 2013

PLOMB à l’Agora de la danse : la fulgurance de l’émotion (CRITIQUE)


Si le travail de Virginie Brunelle a parfois eu des airs de ressemblance avec celui de Dave St-Pierre à ses débuts, force est d’admettre que la signature de la chorégraphe est aujourd’hui personnelle et presque aussi puissante. PLOMB est une habile démonstration de son talent et de sa sensibilité.

Présentée à l’Agora de la danse jusqu’au 21 septembre, sa nouvelle création met en oppositions les différents pôles d’une relation, qu’elle soit amoureuse, amicale ou charnelle. D’abord, les débuts euphoriques, extatiques et grandiloquents, ces débuts où les sensations sont plus fortes, les mouvements plus amples et les sourires plus ravageurs. Une période dansée sur une musique pimpante et swinguante datant d’une époque où la nostalgie embellit le beau pour mieux effacer le laid. 

Après l’effervescence des débuts vient inévitablement la descente abrupte vers la réalité, ce moment où le corps n’est pas tout à fait revenu sur terre, mais où la tête n’est plus tout à fait dans les nuages. Une période d’entre-deux suivie de retrouvailles physiques, incontournables et incontrôlables. Un corps à corps aussi nécessaire que dangereux, une fusion toute-puissante qui fera mal et qui causera une série de petites morts.  

L’œuvre de Brunelle aborde aussi la séduction, l’évaluation des candidats, l’espoir d’être considéré, l’envie de provoquer la situation, les amis qui tentent de prévenir le choc, la femme qui s’approche et qui jauge, avant de subir la fureur du mouvement de l’un et de goûter à la puissance rassurante de l’autre. 

Vient alors ce moment où l’on retombe, cet instant où l’on donne une autre chance à la vie et à l’amour, cette période où l’on recrée les mêmes mouvements, où l’on confronte les mêmes peurs, où l’on trébuche sur les mêmes obstacles, obligés de nous relever et de retomber sans arrêt, jusqu’à ce que quelque chose se passe, jusqu’à ce qu’un point de non-retour soit atteint, que les choses changent ou qu’elles ne veuillent plus jamais espérer d’exister. 

Tout au long du spectacle, de nombreux tableaux imaginés par Virginie Brunelle sont inspirés, émouvants, captivants et construits sur des images claires et puissantes. Certains duos éblouissent les spectateurs avec un mélange de force brute et de vulnérabilité, de confrontation et de laisser-aller, de pouvoir et de protection. La jeune femme possède un langage chorégraphique et théâtral qui force l’admiration. 

Malheureusement, les quelques dialogues viennent plomber le rythme et l’émotion habilement mis en place précédemment. Ne maîtrisant pas suffisamment les fondements de la projection, de la diction et de la conscience de leur voix dans leur corps et dans l’espace, les quelques danseurs à qui l’on demande de jouer les acteurs ne passent pas le test de la transmission des émotions. 

Il est également décevant de constater à quel point les danseurs de sexe masculin sont sous-utilisés, comme c’est le cas si souvent avec plusieurs chorégraphes. Servant trop souvent de soutien (ou de faire-valoir) aux danseuses, en les soulevant, en les faisant tourner ou en provocant des réactions physiques vachement intéressantes dans leurs corps à elles, les messieurs engagés dans PLOMB n’ont pas une partition à la hauteur de leur talent. 

Au final, on retient une fulgurance dans l’émotion, une lecture relationnelle habile et touchante, mais certains procédés qui méritent encore recherche et raffinement.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

vendredi 13 septembre 2013

« La Vénus au vison » chez Duceppe : la surprise de la rentrée théâtrale ! (CRITIQUE)


Dieu qu’ils auront tort, ceux qui oseront se passer de « La Vénus au vison », parce que le titre de la pièce présentée chez Duceppe sonne comme le nom d’un film cheap des années 70. Non seulement le texte de l’Américain David Ives est-il une véritable surprise d’intelligence et d’humour, mais il est joué par des acteurs qui nous offrent des interprétations de très haut calibre.  

Essayer de résumer La Vénus au vison peut s’avérer aussi simple que complexe, tant les couches de cette histoire sont multiples. Heureusement pour nous, le metteur en scène Michel Poirier et ses deux interprètes, Hélène Bourgeois-Leclerc et Patrice Robitaille, ont tout fait pour en tirer une œuvre d’une clarté saisissante. 

Dans la pièce, Thomas, auteur et metteur en scène ayant écrit une adaptation du roman de Leopold Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure, recherche désespérément une actrice afin de jouer Vanda, une jeune femme du 19e siècle à la fois féminine, sexy, profonde et puissante. Un amalgame qui est, selon lui, impossible à retrouver chez les actrices modernes dont la maturité serait aussi avancée que celle d’une fillette de 6 ans. À bout de ressources, épuisé d’avoir auditionné plus de trente interprètes de suite, il recevra finalement la visite d’une retardataire, elle aussi prénommée Vanda, qui est prête à tout pour obtenir le rôle. 

D’abord peu concluante, leur rencontre se poursuivra sur une enfilade de situations et de réflexions extrêmement lucides, riches et pertinentes sur la séduction, le pouvoir, l’amour, le couple et les rapports de force entre hommes et femmes. En interprétant des extraits de la pièce écrite par Thomas, en s’interrompant pour se questionner et opposer leurs points de vue, et en jouant au même jeu que les personnages de la pièce, l’auteur et l’actrice inverseront les pôles du pouvoir à chaque instant. 

Robitaille et Bourgeois-Leclerc sont ici en parfaite maîtrise de la situation, passant du langage québécois familier au français normatif avec grande dextérité, en plus de maintenir une cohérence infaillible dans leurs dialogues et leurs comportements. 

Absente du théâtre depuis des années, Hélène Bourgeois-Leclerc semble pourtant y avoir passé toute sa vie. Spontanée, un brin malengueulée, ratoureuse, femme fatale et follement déjantée lorsqu’elle interprète Vanda l’actrice, elle est ensuite suave et noble quand elle joue Vanda le personnage, en plus être impériale, mangeuse d’hommes et toute puissante en se glissant dans la peau de Vénus. Les spectateurs ne se sont d’ailleurs pas gênés pour l’applaudir après certaines répliques, spécialement lorsqu’elle changeait brusquement et volontairement de niveau de langage, avec un timing parfait. 

À ses côtés, Patrice Robitaille n’est pas en reste. Tout en nuances, trouvant le moyen de tirer son épingle du jeu en donnant la réplique à une actrice qui brûle les planches, Robitaille joue un homme intellectuel qui cache son insatisfaction face à la vie derrière un voile de fausse confiance et de prétention, à la fois dominé et dominant, fort et vulnérable, profondément mâle et un brin féminin par moment. Un bijou d’interprétation.

La Vénus au vison est un véritable coup de cœur.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

La Vénus au Vison – Duceppe
11 septembre au 19 octobre 2013

*Crédit photo : François Brunelle



mardi 10 septembre 2013

« Billy » au Théâtre La Licorne : quand les non-dits finissent par tuer (CRITIQUE)


Ce n’est pas pour rien que « Billy (les jours du hurlement) » a valu à Fabien Cloutier le Prix Gratien-Gélinas en 2011. Après avoir séduit le public avec Scotstown et Cranbourne, l’auteur revient à la charge avec un texte dangereusement brillant, écrit dans une langue acérée et sincère qui fait plus d’une victime. 

La maman d’Alice anticipe le moment où elle dira sa façon de penser aux parents de Billy, convaincue d’avoir affaire à un homme et une femme qui négligent leur garçon, trop occupés qu’ils sont à attendre leur chèque de B.S. et à s’acheter des beignes graisseux, pendant que leur petit attend, affamé, dans la voiture, les fenêtres fermées. 

De son côté, le père de Billy s’étouffe avec sa rage en imaginant ce qu’il dira à Martine, l’éducatrice en garderie de Billy et d’Alice, qui a pointé du doigt son petit quand est venu le temps de trouver un coupable à l’épidémie de poux. Outré que son enfant ait été la cible des accusations, alors que sa compagne vérifie la tête du petit tous les matins pour éviter de tels problèmes, le papa se sait victime de préjugés et n’entend pas laisser son garçon être la risée des amis de la garderie, ni de leurs parents. 

Finalement, une employée de commission scolaire consacre le plus clair de son temps à écouter la radio, à juger les envies de ses collègues et à attendre un foutu babillard qu’elle a demandé il y a des mois. Un babillard que ne peut installer le préposé à l’installation et à l’entretien des outils d’affichage, ci-nommé le papa de Billy, tant que le système n’aura pas accepté la demande de la vieille radoteuse. 

Champions du chialage, maîtres de l’inaction, fiers partisans des préjugés, apôtres de la non-communication, les trois personnages sont tellement peu enclins à ouvrir leur esprit et partager leurs points de vue qu’ils risquent d’en devenir malades. 

Au rythme où s’enchaînent les coups de gueule et les déclarations-chocs, avec un humour et un sens de la répartie fabuleux, les spectateurs expérimentent une série de réactions : le sourire complice, l’éclat de rire libérateur, le front plissé plein de jugements, la honte d’avoir entendu ce qu’ils ont toujours pensé sans oser l’exprimer. Bref, ils comprennent que sans être des copies conformes des personnages qui s’époumonent sur scène chacun dans leur coin, ils ne sont ni mieux, ni pire que les membres du trio. 

Dans une structure où les récriminations des trois personnages se chevauchent à un rythme infernal, le metteur en scène Sylvain Bélanger dirige ses acteurs de main de maître. À la fois touchants et forts en gueule, attachants et repoussants, profondément dérangeants et parfaitement représentatifs de notre société, les personnages interprétés avec justesse par Guillaume Cyr, Louise Bombardier et Catherine Larochelle risquent de s’imprégner dans notre imaginaire pendant longtemps. 

Une fois encore, Fabien Cloutier nous offre un portrait social lucide, drôle, émouvant, confrontant et explosif. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Billy (les jours du hurlement)
Théâtre La Licorne – 9 au 27 septembre
Théâtre Périscope – 15 octobre au 2 novembre

samedi 7 septembre 2013

« L’Assassinat du président » : l’équivalent d’un BYE BYE du futur (CRITIQUE)


Jouissive, libératrice et follement brillante, la pièce « L’assassinat du président » est un condensé d’absurdité, de critique sociale et d’autodérision qui offre aux spectateurs l’exutoire parfait avant de replonger dans un automne de querelles idéologiques et de vieilles magouilles mises à jour. 

Imaginé par Guillaume Tremblay et Olivier Morin, qui nous avaient donné l’incomparable Clotaire Rapaille, l’opéra rock, L’assassinat du président transporte les spectateurs dans le Québec de 2022, alors que le gouvernement tient un référendum annuel pour éviter la chicane, convaincu que les camps du NON et du OUI ne feront jamais le poids face à l’écrasante majorité du PEUT-ÊTRE, portée par le caquiste François Legault. Après des années d’exil en Suisse, Gilles Duceppe revient en territoire québécois pour mener le pays à l’indépendance, inspiré par les paroles de son défunt père Jean Duceppe, secondé par le hip-hop franco-fier de Biz des Loco Locass et soutenu par les cours de diction de Serge Postigo. À son retour, l’ex-chef du Bloc québécois découvre une province où la culture se résume littéralement à une poignée de « comédies musicales de marde », se fait talonner par Pauline Marois qui tente de l’avertir des menaces d’attaque à la souffleuse qui planent sur lui et s’oppose à la vacuité du premier ministre canadien, Stéphane Gendron. 

Les éclats de rire défilent, les instants de surprise se succèdent et les moments de réflexion s’incrustent un peu partout, laissant entrevoir un texte où l’intelligence et le sens du divertissement créent un rythme de croisière magistral. L’assassinat du président est un merveilleux exercice de défoulement et de rigolade qui n’épargne personne : les partis politiques reçoivent tous une dizaine de claques derrière la tête, la plupart des théâtres montréalais se font maltraiter et les goûts musicaux des Québécois en prennent pour leur rhume. 

Franchement plus incisifs que les auteurs des « Revues et corrigées » présentées au Rideau-Vert depuis des années, Tremblay et Morin possèdent un humour et un sens critique qui feraient d’eux d’excellents candidats pour écrire de futures éditions du Bye Bye. Composant avec des moyens rachitiques, la production compense avec une débrouillardise pleine d’originalité et de candeur : des fruits broyés au mixeur symbolisent la mort d’un personnage, la partie poilue d’un ballet personnifie un chien d’une laideur légendaire et de nombreuses d’astuces de bruiteur nous font rigoler tout au long de la pièce.

Malgré quelques très brefs temps morts, L’Assassinat du président frôle le génie pendant les trois premiers quarts de la pièce. Au moment où les spectateurs ont le sentiment que la boucle a été bouclée et que les acteurs se tiennent devant eux pour recevoir des applaudissements nourris, une deuxième fin se met en branle. Inutile, n’ayant pratiquement rien de bon à offrir et poussant l’absurdité jusque-là parfaitement calibrée à franchir les limites de l’agréable, cette autre fin dresse un parallèle entre « Rise of the Planet of the Apes » et un désir d’émancipation et d’indépendance de la race canine. Acteurs et actrice reviennent sur scène « déguisés » en chiens, font des mauvais jeux de mots et essaient bien maladroitement de faire des liens entre la cause souverainiste, les réflexes de soumission des cabots et les défis de l’affranchissement et de la cohabitation des races. C’est lourd, c’est long et c’est ridicule.

Les spectateurs capables d’effacer ces vingt malheureuses minutes de leur mémoire auront la divine impression d’avoir vu de jeunes artistes aller au bout de leurs envies, libres de créer comme bon leur semble et d’imaginer une pièce aussi décomplexée que pourrait l’être le Québec souverain du futur. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin 

Crédit photo : Toma Iczkovits

L’assassinat du président – 3 au 21 septembre
Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/assassinat